Présidée par David de Rothschild, une fondation suisse lance le site web Covid-Out pour panser les difficultés de santé mentale dues à la crise engendrée par la pandémie, dont le confinement.
Anxiété, trouble du sommeil, dépression, agressivité, confusion, trouble de l’adaptation… Passagères ou chroniques, les séquelles sur la santé mentale dues au confinement peuvent frapper toutes sortes de populations. Une trentaine d’experts (psychiatres, psychologues, ergothérapeutes, etc.) ont planché sur un site fournissant des clés pour se sortir des difficultés mentales liées à la crise. Interview du professeur Luc Mallet, médecin psychiatre aux Universités de Genève et de Paris, et directeur de la Fondation FondaMental Suisse.
Paris Match Suisse. Quels sont les symptômes dus au confinement ?
Luc Mallet: Le maître-mot, c’est que la crise a aggravé les inégalités entre les gens, les classes sociales et creusé un fossé de vulnérabilité face à la maladie mentale. On peut parler d’une sorte de révélateur de fragilité, tout un éventail de réactions et de symptômes survenus même avec des personnes « normales ». Cela commence avec les troubles du sommeil. Certains ont recouru à des substances ou à l’alcool pour contrecarrer leur angoisse, même si globalement les symptômes d’anxiété ont plutôt baissé pendant le confinement ! Il est même probable que le déconfinement progressif entraîne une résurgence des symptômes anxieux. Une catégorie de gens se sentait protégée comme dans un cocon. Par contre d’autres ont vu augmenter considérablement leur stress. Ayant perdu leurs repères, ils se sont trouvés brutalement face à eux-mêmes, face à leur famille, face à des problématiques complexes, toutes choses qui ont induit de la fatigue et du stress. Il est important de saisir que l’on a affaire à un facteur d’inégalités. Les gens bien organisés, avec un niveau socio-économique plus favorable, ont bénéficié de meilleures conditions de confinement.
L’âge et le niveau de fortune ont-ils aussi joué un rôle ?
L.M. : La situation des séniors a parfois été extrêmement stressante, privés des liens affectifs avec leurs enfants et petits-enfants, exposés au deuil d’amis auxquels ils n’ont pas pu dire adieu. Il y a des personnes qui ont traversé cette crise de façon cataclysmique. Il ne faut pas négliger aussi la catégorie des malades souffrant de troubles mentaux préexistants et qui n’ont pas pu être suivis pendant le confinement. Globalement, ces gens avaient besoin de suivi, mais ils ne voulaient pas encombrer le système de soins.
A-t-on déploré une vague de suicides ?
L.M. On n’a pas de chiffres précis, mais ce n’est pas sûr. Dans des crises précédentes comme les guerres en Europe au XXe siècle ou de grands stress de population, on a plutôt constaté une baisse des suicides. Les gens ont d’autres priorités. En outre, le fait d’être connecté est un facteur de protection important contre le suicide. A ce titre, les réseaux sociaux ont fonctionné à fond.
Les médias ont-ils joué un rôle anxiogène défavorable ?
L.M. : Je ne ferai pas du « media bashing ». Il faut plutôt observer les rapports de la société à l’utilisation des médias. Ce sont surtout les réseaux sociaux qui ont véhiculé des « fake news ». La crise nous a confrontés de façon massive et brutale à l’incertitude. Les modèles épidémiologiques se sont avérés faux. Un modèle n’est pas la réalité. Avec la Covid, il a fallu composer avec l’incertitude. Au début on n’avait pas toutes les informations. La recherche demande du temps et l’erreur fait partie du processus. Le site Covid-Out propose des contenus sur l’incertitude, comment le cerveau traite l’incertitude et pourquoi c’est angoissant. On ne peut pas tout prévoir tout le temps. Mais la population et les décideurs ont de la peine à faire face à l’incertitude. Il est normal d’être inquiet, ça fait partie de la vie. On ne peut pas tout prévoir tout le temps.
La Suisse et la France ont appliqué une politique différente entre confinement et semi-confinement. Qu’est ce qui a été le mieux psychologiquement ?
L.M. : En Suisse, si les autorités expliquent bien les enjeux, la population helvétique va mieux les appliquer qu’en France. La démocratie participative responsabilise davantage les gens. Toutefois, psychologiquement des règles très strictes peuvent être plus confortables que de renvoyer la population à une responsabilité individuelle. Cela peut être très angoissant de se dire : c’est moi qui suis responsable…
Le confinement a vu circuler des vidéos et des gags très drôles. Peut-on considérer le rire comme une sorte de paravent contre l’angoisse ?
L.M. : L’humour est l’une des meilleures choses qui puisse exister. Mais là aussi on constate des inégalités : qui souffre d’un trouble mental ne va pas tellement en profiter.
Une personne sur cinq aurait souffert de problèmes psychiques…
L.M. Ce chiffre n’est pas loin de la prévalence de l’ensemble des troubles psychiques ressentis sur une vie entière, notamment lors de la perte d’un emploi, des troubles bipolaires, des dépressions, etc. Cela me semble un chiffre acceptable.
Et quid de la différence entre les hommes et les femmes qui sont réputées plus sensibles ?
L.M. : Sont-elles plus fragiles ou expriment-elles plus facilement les troubles anxieux ? Pour des raisons d’organisation sociale, la parité n’a pas été totalement respectée dans bien des familles. Les femmes ont payé un tribu plus fort, sans parler des violences conjugales.
Comment soigne-t-on les victimes des troubles ?
L.M. : L’idée va être de dépister les souffrances et d’orienter les personnes concernées. Le site Covid-Out permet de désigner des types d’auto-aide : des programmes de relaxation avec possibilité d’abonnement, des conseils sur le sommeil, etc. Elle permet aussi de s’auto-évaluer et de reprendre confiance. Pour les cas extrêmes, Covid-Out donne des numéros de téléphone pour rechercher de l’aide. A l’avenir elle offrira une entrée dans des programmes de soins. Il faut constituer des réseaux communautaires pour échanger. Il importe d’exprimer son angoisse, de ne pas refouler ses impressions avec ou sans encadrement professionnel. L’idée est qu’il faut tourner la page, tout en essayant de tirer les leçons du passé. C’est le côté positif, même si la crise a constitué un révélateur de la société et de ses inégalités.
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