L’installation à Genève du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire du Ballet du Grand Théâtre.

Les temps changent. Naguère le Grand Théâtre de Genève faisait exclusivement appel à des chorégraphes invités. Désormais la troupe résidente est dirigée par une figure centrale de la chorégraphie internationale. Arrivé en juin dernier, Sidi Larbi Cherkaoui est loin d’être un inconnu au bout du lac. En 2005 déjà, une de ses créations était dansée au BFM, à l’invitation de Philippe Cohen. Une autre fut mise à l’affiche en 2019 alors que l’an dernier Aviel Cahn, le directeur de l’Opéra genevois, lui confiait un «Pelléas et Mélisande» (en collaboration avec la plasticienne Marina Abramovic et le chorégraphe Damien Jalet). Aviel Cahn connaît parfaitement le travail de Cherkaoui: c’était le directeur de son Ballet lorsque lui-même dirigeait l’Opéra de Flandre.

Sa première saison au Grand Théâtre s’ouvrira le 19 novembre par la création de «Ukiyo-e» (accompagnement musical live: trio à cordes, piano et rythmes) avec en complément «Skid» de Damien Jalet, pièce dansée sur une plateforme inclinée à 34 degrés! Sidi Larbi Cherkaoui est certainement le chorégraphe le plus prolixe du moment. Il a abordé quasiment tous les registres du spectacle. L’opéra, comme mentionné plus haut; la comédie musicale avec – entre autres – une nouvelle version de «Starmania» (visible à Genève en mars prochain); le cinéma avec «Anna Karénine» de Joe Wright; le cirque (du Soleil) en 2013 et 2014; le clip musical pour Beyoncé et Depeche Mode, notamment. Et bien sûr la danse pour l’Opéra de Paris comme pour d’autres prestigieuses compagnies.

Dans ses créations, Sidi Larbi Cherkaoui embrasse danse, théâtre, musique et même chant. C’est dans son «laboratoire» anversois, la compagnie Eastman, qu’il imagine, essaie, abandonne, reprend, peaufine. Tout un travail de recherche sans obligation de résultat immédiat qui nourrit ensuite ses spectacles. «Je travaille avec des musiciens japonais, coréens, congolais, nous explique-t-il. Et avec des danseurs du monde du hip-hop. Il ne faut s’imposer ni barrières ni frontières, qu’elles soient géographiques ou mentales.» À preuve, notamment, ses collaborations avec un ensemble polyphonique corse comme avec une danseuse indienne!

Lui-même n’est-il pas le produit de deux cultures, avec un père marocain et une mère belge? Pour sa première saison genevoise, il a décidé de placer le focus sur la rencontre entre chorégraphes – lui, Damien Jalet et Fouad Boussouf – et plasticiens: le sculpteur Antony Gormley, le créateur d’installations Jim Hodges, le «land artist» suisse Ugo Rondinone… La saison prochaine, il mettra sans doute l’accent sur la musique avec, pourquoi pas?, une reprise du «Boléro» qu’il avait réglé pour le Ballet de l’Opéra de Paris, avec déjà Damien Jalet et Marina Abramovic.

Sidi Larbi ne craint pas de se dire «workaholic». À 46 ans, sa nature propre et l’expérience accumulée lui permettent de concevoir et gérer plusieurs projets simultanément et avec anticipation. «J’ai deux atouts: je suis très bien organisé et j’ai la flexibilité qui me permet de m’adapter quand il le faut. Cela fait 30 ans que je travaille à ce rythme. Lorsque, adolescent, je me formais pour devenir traducteur français-anglais-néerlandais, je prenais aussi des cours de danse et participais à des émissions de télévision. Il arrive que toute cette charge me démoralise. Mais cela repart très vite!»

Cette vitalité lui permet de mettre sur pied des échanges, voire d’établir des synergies. Par exemple entre le Ballet de Flandre lorsqu’il le dirigeait et la compagnie Martha Graham. Il songe maintenant à une coproduction entre l’Opéra de Rome où il a mis en scène «Alceste» de Gluck, en 2019, et le Grand Théâtre. Nul doute qu’avec un tel artiste le rayonnement de la scène genevoise s’étende de plus belle.

«Mondes flottants» (chor. Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jallet), Grand Théâtre, Genève, les 19, 20, 22, 23 et 24 novembre, gtg.ch; «Faun» et «Ukiyo-e» (chor. Sidi Larbi Cherkaoui), Théâtre Équilibre, Fribourg, le 2 décembre, equilibre-nuithonie.ch

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