Une personnalité et un destin inouïs que ceux d’Albina du Boisrouvray! Elle publie le récit de sa vie: rebelle dans l’âme, mère, et femme libre, elle demeure pleinement engagée auprès des plus démunis.

Une comtesse aux pieds nus. Ainsi pourrait-on qualifier Albina du Boisrouvray. Fille d’un aristocrate français, cousin germain du Prince Rainier III de Monaco, petite-fille du roi de l’étain bolivien Simon Patiño, elle décida, à la suite du décès accidentel de son fils unique François-Xavier Bagnoud sur le rallye du Paris-Dakar, de se départir des trois quarts de sa fortune au profit de la fondation FXB qu’elle créa. Elle s’engageat dès lors pleinement dans l’humanitaire. Par ses actions menées depuis plus de trente ans, elle a ainsi contribué à améliorer la vie de 18 millions de personnes! Retour sur une vie inspirante et exemplaire.

PARIS MATCH. Revisiter votre passé vous a-t-il paru difficile?

Albina du Boisrouvray. Certaines étapes ont été plus éprouvantes à écrire que d’autres… Il m’a fallu rédiger trois livres différents afin de parvenir à raconter ce qui correspond à ma vie depuis la disparition de mon fils. Je pensais qu’il fallait raconter ma vie de mère avec lui pour arriver à son accident et voir comment je suis repartie en continuant son sauvetage et évoquer mon enfance.

PARIS MATCH. Que recouvre le titre de votre livre?

A.B. Un ami m’a rapporté une phrase écrite par Hannah Arendt pendant la guerre. Elle y évoque les réfugiés et «leur ardent courage de vivre». C’était parfait! Cela recouvre évidemment le fait que j’ai pu rebondir après avoir été pulvérisée par la disparition de François. Lui aussi a fait preuve d’un immense courage de vivre: prendre des risques, sauver des gens, c’était sa fixation. Les femmes des villages FXB ont elle aussi fait preuve d’un courage extraordinaire pour travailler de manière ardue afin d’arriver l’indépendance économique qu’on leur proposait.

PARIS MATCH. Vous commencez votre livre en disant que vous êtes métisse…

A.B. Oui, le résultat d’une somme de contradictions et d’antagonismes! Je participe de deux hémisphères, de deux classes sociales, de deux ethnies différentes et opposées. Je fais partie des oppresseurs par mon père et des oppressés par ma mère. Cela m’a conféré une solidarité naturelle avec les minorités et les discriminés. Les gènes comptent! J’ai toujours été très militante et voulu réparer le monde.

PARIS MATCH. On est saisi par le manque d’affection que vous avez ressenti enfant. Comment expliquez-vous votre fibre maternelle?

A.B. Mon enfance n’a pas été extraordinaire malgré l’opulence et le luxe. Côté affectif, c’était la banquise! J’ai dû très vite compter sur mes propres forces. Cela m’a permis de me construire comme je l’entendais et, plus tard, de comprendre les enfants dans la déshérence. J’ai développé avec mon fils un instinct maternel très fort, une façon de réparer quelque chose qui avait dysfonctionné dans ma propre vie. Il s’agissait de faire en sorte que jamais il n’ait le sentiment de ne pas avoir été désiré.

PARIS MATCH. Vous vous décrivez comme un oignon que vous avez épluché. Qu’avez-vous souhaité exprimer?

A.B. En enlevant les pelures d’un oignon, on trouve un petit noyau à la fin. C’était moi ce petit noyau! Je me suis retrouvée dans un milieu familial où je ne collais pas du tout. J’étais entourée de tas de pelures qui m’étaient données par le destin: je m’en suis débarrassée petit à petit.

PARIS MATCH. Et la Suisse?

A.B. J’ai découvert le Valais par hasard, m’y suis mariée et y ai donné naissance à mon fils. Je me suis insérée dans ce qui me paraissait être un terroir, une famille normale sans haine ni contentieux. Mon grand-père n’évoquait jamais le milieu extrêmement humble d’où il venait. Mon sentiment de dysfonctionnement vient de cette origine. J’ai vite compris notre vraie histoire. Curieuse, j’ai très tôt voyagé pour aller à la rencontre de mon époque.

PARIS MATCH. En poursuivant à Paris?

A.B. Oui! Mon obsession était d’être indépendante économiquement. Je voulais être le sujet de mon existence. J’ai donc été journaliste puis productrice de cinéma où j’ai eu une grande carrière! Mon fils demeurait ma priorité.

PARIS MATCH. Que vous a-t-il appris?

A.B. D’abord le courage de continuer à vivre sans lui. Dans les moments de désespoir, je pense à lui et me dis que je ne peux me laisser aller: François aurait honte de moi, je l’entends d’ici! Il m’a également appris la responsabilité. J’ai donné naissance à un pilote de sauvetage. Il fallait qu’en tant que mère, je sois à la hauteur.

PARIS MATCH. Comment avez-vous trouvé le courage de rebondir après sa disparition?

A.B. Juste après son décès, j’avais dit à mon ami Bernard Kouchner que, malheureusement, je serai désormais disponible pour partir avec lui. Étant très politisée et militante, j’en avais toujours eu envie. Nous avions tous été déçus après mai 1968. Médecins sans frontières, dont il était à l’origine, m’apparaissait alors comme la meilleure manière de mettre la politique en action. Il m’a proposé en 1987 de l’accompagner au Liban, cela m’a sortie de ma torpeur et m’a remis le pied à l’étrier pour revenir dans la vie professionnelle.

PARIS MATCH. Pourquoi évoquer Margaret Thatcher?

A.B. Sa fille était mon amie et lui avait dit que je me sentais responsable de ne pas avoir su dire à mon fils qu’il devait lui aussi veiller à se protéger. Margaret a décidé de me parler, d’autant que son fils s’était aussi perdu dans un Paris-Dakar et que François-Xavier faisait partie de ceux qui l’avaient recherché. Tout Premier ministre qu’elle était, elle a passé une après-midi à essayer de me déculpabiliser.

PARIS MATCH. Pourquoi avoir choisi la cause des orphelins du sida dans vos premières actions?

A.B. Quand j’ai démarré la fondation, je l’ai nourrie avec l’héritage qui m’était tombé dessus à la mort de mon père en 1980. Je l’avais conservé pour François-Xavier et ne pensais qu’en être la gestionnaire. À partir du moment où mon fils n’était plus là, il était évident que j’allais utiliser cet héritage à la fois pour mon militantisme et continuer le sauvetage. Cette cause m’a paru évidente à l’époque. Il y en a eu plein d’autres ensuite.

PARIS MATCH. De quoi êtes-vous la plus fière aujourd’hui?

A.B. Je suis très fière de mon fils, de la personne qu’il a été, des choix qu’il a faits, du courage qu’il a démontré. Je suis également très satisfaite des villages FXB: ce fut une énorme transgression qui se transforma en solution de développement iconoclaste alors que tout le monde était réticent, il fallait le faire!

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