Unanime, la presse loue ses qualités d’interviewer si calme et si bien informé, loin du style agressif et speedé à la française. «Pour l’heure, je suis un peu comme un OVNI», rigole Darius, aux anges. Rencontre.

Il avait osé un sacré défi en allant animer du lundi au jeudi le 20 h sur LCI à Paris. Or, pour l’heure, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce défi, Darius Rochebin, notre Darius, est en train de le réussir, au-delà de toute espérance. La presse parisienne unanime loue ses qualités d’interviewer, si bien informé, si calme, à l’écoute; ce qui tranche avec le côté speedé et agressif de ses collègues français. A Paris, il est la révélation de la rentrée. «Un réfléchi au pays du «break plus vite que ton ombre», la profondeur contre l’hystérie, la culture contre l’inculture», s’enflamme par exemple Daniel Schneidermann dans «Libération», à l’unisson de ses collègues.

Darius rentre les week-ends à Genève pour retrouver sa famille, son épouse et ses deux filles de 3 et 10 ans. «Oui, je suis heureux, très heureux, je ne m’attendais pas du tout à un accueil pareil. Mais je ne me prends pas la tête pour autant. Dans un milieu si concurrentiel, on peut être à la mode une semaine et plus celle d’après. On doit faire ses preuves tous les jours. Je serai jugé sur la durée», nous glisse-t-il en ce samedi d’automne sur une terrasse en face de la tour de la RTS, où il a présenté le TJ pendant vingt-cinq ans où son départ a sonné comme un tremblement de terre et secoué toute la Suisse romande. «C’est toujours un peu ma maison. Vingt-cinq ans, ça ne s’oublie pas comme ça. Je garde de nombreux contacts. Et le hasard veut que j’habite tout près. Quand je vais au tea-room chez Teresa, je croise souvent des collègues.» La séparation de ses filles durant la semaine n’est-elle pas difficile à vivre? «On se parle quasi tous les jours sur FaceTime vers 18 h. Comme j’ai toujours beaucoup travaillé, on se voyait déjà peu. Et, paradoxalement, je profite encore plus d’elles le week-end car je suis tranquille. Et la grande est déjà venue me voir à Paris.»

Chaque soir, sur LCI, il reçoit un invité, toujours prestigieux, ministre, philosophe, acteur, lors d’une interview de plus d’une demi-heure, ce qui est un luxe, une exception, à l’heure du zapping effréné, où tout doit aller si vite. Et Darius est si à l’aise qu’on a l’impression qu’il travaille en France depuis vingt ans, ce qu’il nuance un peu. «Le premier soir, j’ai vraiment eu le trac, j’étais en terrain inconnu.» Depuis, il déroule. On retrouve sur LCI son style de «Pardonnez-moi», alternant des questions classiques avec des séquences plus intimes, pleines d’humour, de malice, d’ironie ou il n’hésite pas à piquer son interlocuteur, mais toujours avec ce sourire charmeur décourageant toute agressivité. L’air de rien, il a, par exemple, demandé à Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, s’il allait se contenter toujours de seconds rôles. «Hors antenne, M. Le Maire m’a félicité pour cette interview de qualité», sourit Darius. De même, après avoir disserté sur Kant et Ulysse avec le philosophe Luc Ferry, il l’a soudain surpris en lui faisant remarquer qu’il était aussi un séducteur qui «se laissait vivre, avec son amour des belles voitures», ce qui a quelque peu déstabilisé le philosophe. Du Rochebin pur sucre. Face à ce même Ferry qui voulait citer Baudelaire sans trouver ses mots, Darius est venu à son secours. «Travailler est plus amusant que s’amuser», a-t-il sorti face à un interlocuteur abasourdi devant tant de culture. «Mais comment vous savez ça? Personne ne sait ça?» Autre moment savoureux: quand après une interview drôle et vivante, la truculente Roselyne Bachelot s’est plainte de finir sur une note un peu sombre, Daris, avec son sens de l’à-propos, connaissant son amour de la musique, lui a demandé si «on peut encore chanter quand on est ministre. Et Roselyne Bachelot, en direct, d’entonner un air des «Pêcheurs de perles» de Bizet. «A la sortie du plateau, son attachée de presse lui a dit qu’elle n’aurait pas dû chanter, ce qui a fait rire Mme Bachelot», raconte Darius.

Comme Daniel Schneidermann, le reste de la presse parisienne ne cache pas son admiration. «Un Helvète qui tous les soirs offre aux confrères français des leçons de journalisme avec des interviews qui ne sont pas des interrogatoires de mauvais polar», écrit «Le Figaro». Même enthousiasme chez l’écrivain Sylvain Tesson dans «Le Parisien»: Darius Rochebin use d’un art oublié chez nous, celui de la conversation.»

Darius est ravi, on le serait à moins. «LCI m’a demandé d’être moi-même, de laisser aller mon style, ma patte. J’aime les citations, j’ai un côté un peu désuet. Je jouis d’une grande liberté. Et il est évidemment plus facile de personnaliser une interview en quarante minutes qu’en deux.» 

En vieux renard, l’air de rien sous son air de gentleman impassible, il sait aussi faire parler de lui. Interviewé sur France Inter sur les grandes personnalités qu’il a rencontrées pour la TSR, Darius n’a pas hésité à flinguer Catherine Deneuve, l’intouchable, l’icône, «infecte du début à la fin», ce qui a provoqué de nombreuses réactions, dont celle de Nagui, outré «trouvant ça extrêmement violent». Comment le Suisse presque inconnu avait-il osé un tel blasphème? Quant au très populaire «Petit Journal» de Yann Barthès, il a aussi égratigné Rochebin, en démontrant qu’il avait posé à Manuel Valls les mêmes questions qu’il y a quelques années sur la RTS au sujet des attentats de «Charlie Hebdo». La preuve qu’en un temps record Darius s’est fait sa place dans le microcosme parisien, où les jalousies font rage. Comme s’il bousculait un peu l’ordre établi. Ce qui l’amuse. «Loin du côté plutôt bon enfant de la Suisse, c’est un milieu hypersensible, très passionnel, où pour l’heure je suis considéré comme un OVNI, une curiosité, au style différent, qu’on juge, qu’on observe. Dont on dit: mais c’est qui?»

S’il s’y est mis aussi vite mis, c’est que Darius a toujours été passionné par la France, son histoire, sa vie politicienne. «Depuis tout jeune, j’ai beaucoup lu sur la France. J’avais 15 ans quand je suis allé pour la première fois à Paris avec mon père et j’étais déjà un peu chez moi. Au fond, je me sens très Suisse, mais l’histoire de la France est si intense, si riche en rebondissements.» Et les clichés sur la Suisse si répandus chez nos voisins, n’en a-t-il pas souffert? «En fait, mes collègues connaissent très peu la Suisse. Quand j’en parle, je leur fais comprendre que c’est aussi un grand pays ne serait-ce que sur le plan économique. Personnellement, je dois faire attention à quelques vieilles habitudes, ne pas dire nonante par exemple quand j’annonce les statistiques du Covid.»

Connu pour être un bourreau de travail, Darius est servi avec des journées qui s’étirent de 9 h à 22 h. «Même si je suis épaulé par une petite équipe très efficace, je porte presque entièrement l’émission qui dure plus d’une heure. C’est un énorme boulot. Mais j’aime beaucoup cela». Habitant en plein centre de Paris, dans le VIIIe, il profite de ses rares moments de libre pour se balader dans cette ville qu’il aime tant. «C’est ma façon de m’aérer le corps et l’esprit. Les bonnes idées viennent souvent sous la douche, comme on dit.»

A 53 ans, notre Darius n’a jamais paru aussi rayonnant, aussi séduisant, comme le soulignait récemment Stéphane Bonvin, le journaliste de mode, dans le magazine «T»: «Nous avons tous vieilli, mais Darius en a profité pour embellir en douce sans prévenir, pour mûrir alors que d’autres flétrissent.» Les rondeurs d’hier ont fait place à une silhouette svelte et élancée. «A mes débuts à la RTS, un collègue me surnommait Bibendum. A 45 ans, j’ai pris les choses en main, en me mettant au régime méditerranéen: poissons, fruits et légumes. Sans compter que travailler autant est une forme de sport», conclut ce Suisse qui est en train de conquérir la France. 

Un trac terrible

Darius Rochebin a l’air si calme, si serein sur un plateau télé comme si le stress du direct glissait sur lui. Et pourtant lorsqu’on lui demande d’évoquer le premier 19h30 qu’il avait présenté sur la RTS, il se souvient d’un terrible sentiment de trac. On était en juin 1998, Darius avait 32 ans. «J’avais de la sueur qui coulait tout le long de ma colonne vertébrale. Pourtant, j’étais plutôt à l’aise devant une caméra mais le 19h30, c’est autre chose. Il y a l’oreillette, le prompteur, des textes très calibrés de trente secondes pour lancer les sujets. Tout ça crée une grande pression au début.» Lors de son 3e TJ, il se souvient qu’il avait dû annoncer, avec beaucoup d’émotion, la disparition d’Eric Tabarly, tombé en mer. «Je l’admirais beaucoup, ce fut un moment très particulier.» Vingt ans plus tard, si le trac est toujours là, il n’en montre rien.

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