Après 46 années de bons et loyaux services au bout du monde, Jonathan rentre chez lui. Mais Cosey ne pose pas définitivement son crayon. Il a encore beaucoup à raconter.
C’est fait, la page est tournée. Jonathan l’Himalayen est de retour chez lui, en Suisse, après 17 volumes et 46 années de bourlingage. Cosey, son double (à moins que ce ne soit le contraire) pose momentanément son crayon. «La Piste de Yéshé» est le dernier album de son héros. Certes, Jonathan avait déjà fait une fausse sortie en 2013 avec «Celle qui fut». Mais, à tête reposée, après bien des hésitations, Cosey a imaginé une autre fin. La fin des fins. «Il y a trop de séries qui n’en finissent plus», explique-t-il.
Quel parcours pour l’auteur devenu un des maîtres de la bande dessinée, Grand Prix du Festival d’Angoulême 2017, président du même festival l’année suivante! Et que de voyages pour lui ou pour son héros! Fasciné par l’Asie où se déroule le plus clair des aventures de Jonathan, Cosey a sillonné le Japon, Taïwan, le Laos, le Vietnam, le Cambodge, la Chine, la Thaïlande et l’Indonésie, mais aussi et surtout le Ladakh, le Népal, l’Inde du Nord et bien sûr le Tibet. Le Tibet si cher à Jonathan qui en a épousé la cause. Mais comme disait Flaubert: «Madame Bovary, c’est moi.» Bien que non-militant, Cosey ne s’est pas privé de stigmatiser l’occupation chinoise.
Jonathan, en dépit des années, ne paraît pas prendre de l’âge. À l’impétuosité de ses débuts, il oppose toutefois une nouvelle sérénité, une forme de pacifisme riche de spiritualité et d’espoir. Il ne fait plus le coup de feu. Comme son auteur, chevauchant sa moto, il est en constante quête de soi et de liberté. En cela aussi Jonathan est un cas à part dans l’édition BD. Les pages qu’il traverse foisonnent de visages amis et aimés, de monuments vénérés, de paysages admirés. Bien qu’il se dise besogneux, avec des albums qui le mobilisent entre 18 et 24 mois, Cosey est un artiste du trait, de l’épure, des plans successifs, un maître de la couleur. Ce qui ne l’empêche pas de se limiter somptueusement au noir et blanc dans «Calypso» (2017).
Un besoin de reprendre son souffle, d’embrasser d’autres thématiques l’amène en effet à faire des infidélités à Jonathan dans «À la recherche de Peter Pan», «Le Voyage en Italie» ou encore «Saïgon – Hanoï» qui obtient le prix du meilleur scénario à Angoulême. Prophète en son pays, Cosey est l’invité d’honneur de BD-Fil, à Lausanne, en 2007 et Grand Prix de la Fondation vaudoise pour la culture en 2018.
Imagine-t-on le chemin parcouru depuis les premiers dessins du jeune Lausannois, né Bernard Cosendai? À 19 ans, son apprentissage de graphiste terminé, il décroche le 3e prix d’un concours de couverture pour Spirou! L’année suivante, il obtient un rendez-vous avec Derib, à l’époque unique professionnel de la BD en Suisse, qui le prend sous son aile. Durant les sept années qu’il passe dans l’atelier de Derib en qualité d’assistant, le futur Cosey met en couleur les séries Yakari et Go West. Un voyage en commun à Bruxelles lui offre une opportunité: dessiner trois épisodes de Monfreid et Tilbury pour le journal «Le Soir». Suivront dans «24 heures» les personnages de Paul Aroïd et de Saphorin Ledoux. Le visage de Derib se glisse malicieusement dans certaines de ses planches, le sien dans celles de Derib. Une expression de l’amitié qui lie les deux jeunes dessinateurs. En 1975, «Souviens-toi, Jonathan» paraît dans les pages de Tintin. Sans être encore jamais allé au Tibet, Cosey conduit son personnage dans le massif de l’Himalaya. Près d’un demi-siècle plus tard, Jonathan s’en retourne dans les Alpes vaudoises. La boucle est bouclée. Sauf pour Cosey qui, comme il se doit, échafaude de nouveaux projets.
Cosey, «La Piste de Yéshé», Le Lombard, 56 p., CHF 19.90; «À l’heure où les dieux dorment encore» (entre carnet de route et journal intime), éd. Daniel Maghen, 301 p., CHF 69.50
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