Photos : Valdemar Verissimo

Il pensait que l’amour durait trois ans. Elle lui a prouvé le contraire: ce mois-ci l’écrivain français Frédéric Beigbeder, 55 ans, et la photographe genevoise Lara Micheli, 31 ans, fêtent leurs 11 ans d’amour. Une relation fusionnelle qui a vu naître deux enfants, Oona, 5 ans, et Léonard, 3 ans et a conduit le célèbre noctambule, également papa de Chloë, 21 ans, et son épouse à quitter la frénésie parisienne pour le grand air de la campagne basque. Pour Paris Match Suisse, ils ont accepté de se confier sur leur couple et les projets développés durant ces dix-huit mois de ralenti imposé par la pandémie. Interview téléphonique croisée.

Paris Match Suisse. Vous vous êtes connus lors d’un vernissage à Genève. Racontez-nous cette soirée.

 Lara: Je venais de commencer l’université. Des amis organisaient ce vernissage et j’ai décidé de m’y rendre au dernier moment. 

Frédéric: Je lui ai apporté beaucoup de coupes de champagne! Nous avons dansé un slow sur la chanson de «Titanic», c’était très romantique.

Un coup de foudre ?

  1. Je ne crois pas au coup de foudre. Il y a un intérêt intellectuel, une alchimie qui donnent envie de poursuivre et finalement, on tombe amoureux. A chaque chose qu’il dévoilait de sa personnalité, j’étais séduite davantage.
  2. De mon côté, c’était un coup de foudre! Après, nous sommes allés manger une fondue. C’est un bon test. Si vous êtes capable d’être séduisant en mangeant une fondue, c’est pour la vie (Rires).

Lara, sa notoriété et sa réputation de noceur vous ont-elles fait peur?

 C’est vrai que je me suis beaucoup méfiée et je l’ai pas mal mis à l’épreuve (Il rit).

Quand avez-vous su que c’était la bonne personne?

  1. Ça, on ne le sait jamais. Ce mystère se nomme l’amour.
  2. Il n’y a pas eu un moment précis. Même si on me mettait en garde, je ne me suis pas laissé influencer. Au contraire, j’avais, à chaque étape, l’intuition que c’est bien là, avec lui, que je devais être. Le temps ne m’a pas donné tort. 

Comment vous décririez-vous l’un l’autre? 

  1. Frédéric est une des personnes les plus drôles et intelligentes que j’ai rencontrées. Il est aussi très courageux. On a des valeurs et une éducation semblables qui font que la différence d’âge n’a jamais été un problème. La seule chose que l’âge a influencée, c’est notre décision de faire des enfants assez vite.
  2. Lara est une bombe sexuelle! C’est aussi quelqu’un qui veut du bien aux autres. C’est très rare de rencontrer une bombe sexuelle qui a autant de bonté en elle. Normalement, la beauté rend égocentrique. Lara a changé ma conception de l’amour parce que je pensais que ça ne durait que trois ans et ça fait onze ans qu’elle me supporte.  

Le pire défaut de l’autre?

  1. Elle est trop modeste. Ce genre de défauts qui n’en sont pas. De moi elle va dire : il est alcoolique (Rires).
  2. Non! Son plus grand défaut est aussi sa plus grande qualité: c’est un enfant. Et il est très maniaque. 

Frédéric, vous avez sorti en 2020 Le Philtre Organic Vodka. Dites-nous en plus.

      On a préparé ce breuvage pendant trois ans avec mon frère Charles et Guillaume Rappeneau (ami d’enfance et cofondateur avec Frédéric du Caca’s Club dans les années 1980, ndlr). Il s’agit d’une vodka française écoresponsable, sans additif, certifiée bio et distillée six fois à la Maison Villevert, à Cognac. D’habitude, les usines jettent le verre qui oscille entre deux couleurs. Nous, nous recyclons ces «déchets». Nos bouteilles sont donc toutes différentes.

Vous avez toujours été sensible à l’écologie. Cette préoccupation est-elle encore plus grande depuis que vous êtes parents?

  1.  Bien sûr! C’est une angoisse permanente. Je pense qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour réagir. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) annonce l’Apocalypse. Il faut réfléchir à de nouveaux modes de consommation et de production. Le Philtre est un mini-engagement dans ce sens. 
  2. Il est possible de produire autrement, mais peu de marques se lancent car aucune loi ne les y pousse. Je collabore avec No More Plastic qui alerte sur la pollution plastique des océans et la nécessité de se tourner vers de nouveaux matériaux. Recycler le plastique n’est pas une solution, car il finit en microparticules ultra-toxiques.

Qu’avez-vous modifié dans vos habitudes par respect de l’environnement? 

  1. Quand nous avons quitté Paris pour la campagne basque en 2017, nous avons radicalement changé. On fait attention à tout, on a une voiture électrique, on ne consomme que du bio… On n’est pas des survivalistes, mais presque (Rires).

Mais vous voyagez toujours autant.

  1. Oui, mais on prend le moins possible l’avion. On ne prétend pas à l’exemplarité! L’important, c’est que tout le monde fasse un effort. 
  2. Mais il faut aussi des actions radicales des gouvernements, sinon on ne pourra pas y arriver. Les Etats ont fait beaucoup pour le Covid, pas pour la planète. Or les lois drastiques seraient, j’imagine, beaucoup mieux acceptées si c’était pour le climat.

Pourquoi créer votre propre alcool? 

  1. J’ai toujours aimé la fête. Baudelaire disait: «Enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.» Il faut consommer l’alcool avec modération, mais dans l’idée d’ivresse, il y a celle de créer, de sortir de la réalité. Il fait l’éloge de l’ivresse artistique. Un artiste n’est pas raisonnable. Comme le dit Rimbaud: «Il faut un dérèglement des sens.» C’était plus logique que je produise une vodka plutôt que du tofu bio, car je n’ai jamais fait mystère de mon goût pour les sorties de route et le flirt avec les limites.

Pourtant vous semblez assagi.

  1. Avant-hier, avec Lara, on a organisé une fête au Noto, à Saint-Tropez, et il y a eu un… dérèglement des sens! La fête reste importante pour nous. C’est pour cela que la tragédie du Covid-19 est particulièrement douloureuse, car l’être humain a besoin de rassemblement et quand on le lui interdit, ça le rend malheureux, bête et violent. La question de la santé est devenue tellement centrale qu’elle détruit la liberté. Je me sens plus dans le camp de la liberté que dans celui de la sécurité.

Comment avez-vous vécu les confinements?

  1. La France a été très stricte. Mais nous l’avons plutôt bien vécu: c’était l’occasion de nous retrouver.
  2. Il y a eu pas mal d’alcool impliqué. (Rires.)

Ces périodes ont-elles impacté votre travail?

  1. Comme mes projets de tournage étaient tombés à l’eau, j’ai conçu mon spectacle «DJ set littéraire» que je joue les 23 et 24 septembre au Bataclan et bientôt à Genève. Je lis des extraits de mes livres accompagné de DJ Pone. C’est très amusant. Mon prochain roman, également écrit pendant le confinement, sort en janvier. 
  2. J’ai ressenti l’énergie créatrice du désespoir. Et je me suis forcée à ne photographier qu’en intérieur. C’était intéressant. Les contraintes me rendent plus productive. Je travaille toujours au Polaroid, car j’aime justement les contraintes de lumière, de cadrage qu’il impose. J’aime aussi ses couleurs. Ce n’est pas la réalité, c’est la vie telle qu’on peut la rêver, la ressentir. Des projets ont été reportés, mais j’expose à The Analog Club, à Paris, du 23 eu 25 septembre, au Kolga festival à Tbilissi en 2022 et Rosalie Mann, fondatrice de No More Plastic, a réuni mes images et les calligraphies de Nicolas Ouchenir pour illustrer des textes d’enfants dans une ode à l’océan à paraître.

 Avez-vous des projets professionnels communs? 

  1. Non. Nos enfants sont déjà une création commune! On est assez fusionnel dans le privé, donc dans le travail, c’est bien d’avoir chacun son monde.

Quels liens gardez-vous avec la Suisse?

  1. J’ai ma famille et mes meilleurs amis à Genève. Mais j’ai eu besoin de quitter la Suisse pour mieux l’apprécier. Il y avait des choses qu’il fallait que je dépasse, par exemple, au niveau de la création. La Suisse n’est pas un terreau qui fait naître beaucoup de personnalités créatives. 
  2. Mon père avait acheté une maison à Verbier. Depuis mon plus jeune âge, on y passait les vacances. Et nous sommes souvent à Genève. En Suisse, j’apprécie la nature, la situation géographique, le régime politique non narcissique et très démocratique, la fondue, la raclette, la meringue dans la crème de Gruyère… Et ce que Lara reproche parfois à cette culture, son côté trop calme, je le trouve très apaisant par rapport à la France où tout le monde râle (Rires.) Cette espèce de feint équilibre, c’est peut-être hypocrite, mais c’est agréable.

Frédéric, souhaiteriez-vous demander la nationalité suisse?

 Je trouve original d’être le seul franchouillard de ma famille!

Dans votre roman «Une vie sans fin», le héros, obsédé par l’immortalité, cherche des solutions en Suisse romande. C’est aussi votre quête, vous qui avez souvent évoqué votre peur de vieillir?

  1. J’y rappelle aussi que la région a inspiré «Frankenstein» à Mary Shelley! J’aime l’idée du basculement permanent entre apparence de tranquillité et tentation de la folie. Pour ce roman, je me suis rendu dans des cliniques où on promettait presque la vie éternelle avec injections de placenta, de fœtus de moutons, de cellules-souches prélevées je ne sais où. J’étais assez horrifié. En Californie, on m’a proposé des injections de sang de jeunes pour 50 000 dollars! Au dernier moment, je ne l’ai pas fait. 
  2. Ce n’est pas pour nous, nous sommes très trouillards.

Alors jusqu’où iriez-vous pour ne pas vieillir?

  1.  Je fais du sport une fois par semaine. C’est déjà pas mal. Avant Lara, je n’en faisais pas. 

Quel est votre plus grand regret?

  1. Ne pas avoir davantage connu ma grand-mère américaine, Grace Carthew-Yorstoun. Elle était très excentrique et on me dit que je lui ressemble.
  2. J’aurais aimé connaître l’insouciance des années 1960.
  3. Ah oui, moi aussi!

Le fait que le prix Renaudot essai 2013 ait été attribué par le jury, dans lequel vous siégiez, à Gabriel Matzneff ne fait toujours pas partie de vos regrets, comme vous le rappeliez dans «Bibliothèque de survie»?

  1. Le prix Renaudot ne juge que la qualité littéraire des œuvres. Pour juger les crimes des personnes, il faut faire appel à d’autres tribunaux. Ni vous ni moi ne sommes malheureusement compétents pour juger Gabriel Matzneff autrement que sur son écriture.

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