Jean-Luc Bideau était l’invité de Festival du 7e Art dont Vincent Perez est le président et l’initiateur de ce magnifique projet. Pour cette 5e année, il a réuni à nouveau réuni des invités prestigieux comme Willem Dafoe, Elsa Zylberstein, Daniel Brühl, Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Jean Dujardin, Irène Jacob, Marie Gillain, Anne Brochet, Marthe Keller…

La rencontre avec Jean-Luc Bideau a lieu dans une suite du Beau-Rivage Palace à Lausanne. Il arrive comme le gladiateur dans l’arène. Crinière blanche, le lion entre en scène dans la vie comme au cinéma. Il crève l’écran. Talent fou et une imagination débordante. Rien n’a changé depuis des années. Extravagant, communicateur, spontané, Il fait son show, nous prenant à témoin, blâmant la nullité d’un réalisateur qui visiblement l’insupporte. En sortant de l’interview, il s’amuse, interpelle les nageurs dans la piscine. Silence, ça tourne…

Jean-Luc pourquoi avoir répondu à l’invitation de Vincent Perez?

Vincent m’a simplement appelé. J’ai aimé le concept, pas de concours, pas de star. Vincent Perez, à cette occasion, m’a rendu un vibrant hommage. J’étais terriblement ému. Et j’ai mieux compris, après coup pourquoi mes enfants insistaient pour que je m’habille: «Mets une chemise et de vraies pompes pour une fois». Sentiment!

Quel est votre lien avec Vincent Perez, vous avez travaillé ensemble?

Oui, au Théâtre de Ville à Paris. Et il porte encore la cicatrice d’un incident que j’ai provoqué. On mangeait un saucisson, on s’emballait, on riait en évoquant Madame Thatcher et mon couteau a maladroitement glissé et s’est planté superficiellement dans sa cuisse. On en rit encore et il n’hésite pas à baisser ses culottes pour montrer «les dégâts»!

Comment vous sentez-vous aujourd’hui à 80 ans?

Je suis en pleine forme et je suis heureux! Je suis heureux!

Avez-vous aimé jouer dans «Maison de retraite»? Vous êtes un senior tendre et amoureux de théâtre …

Magnifique expérience. Et que des pointures, Gérard Depardieu, Marthe Villalonga, 85 ans (quelle forme!), Daniel Prévost… On s’est bien amusés. Autour de Kev Adams on formait une famille. Dans le film, je jouais un homosexuel.

Parlez-nous de votre plus belle expérience cinématographique?

J’avais toujours tourné des personnages odieux et grossiers. La série «Ainsi soit-il» a changé la donne. Marcela avait insisté. Du coup, j’ai dû me prêter à un casting où on n’imaginait pas Bideau! Et surprise, j’ai été accepté. Entrer dans le personnage d’un prêtre, m’a fait grandir.

À quoi rêvez-vous encore?

Je rêve de continuer à travailler! Je le répète, je suis heureux. J’ai 6 petits-enfants et des enfants qui ont réussi professionnellement.

Qu’est-ce qui vous pousse inéluctablement en avant?

Marcela, ma femme. On ne se cache rien. Et en tant que metteuse en scène, elle me révèle dans mes qualités d’acteur. Elle va jusqu’au bout du bout, sans concession. J’ai une chance inouïe de vivre ce métier avec elle.

Votre relation avec Marcela est toujours «éclatante», quel regard portez-vous sur cette histoire d’amour?

Je suis jaloux d’elle. J’aimerais être à sa hauteur, renvoyer une image d’un être qui réfléchit, cultivé et d’une grande qualité intellectuelle. Je suis un homme sans qualité.

Vous vivez avec la même femme depuis plus de cinquante ans, comment est-ce possible?

Je ne sais pas… c’est plus fort que nous.

Jamais de rupture, même provisoire?

Si, tout le temps! Marcela part et lance brutalement, «c’est fini!». Finalement, elle fait le tour de la maison et revient. Elle est capable de se reprendre plus vite que moi. Je peux bouder plus longtemps.

Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours?

Non, la nuit tous les chats sont gris.

Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir?

Bêtement, une chose que j’aurais oublié de faire. Cela me trotte dans la tête et impossible de trouver le sommeil. Sinon par rapport aux choses de la vie, je prends de la distance. Je suis un personnage avec trop de défiance.

Petit rétroviseur sur votre vie. Avez-vous des remords?

J’en ai beaucoup. Je suis jaloux des autres acteurs. Je suis si étonné que Vincent Perez me rende un tel hommage. Il y a des acteurs tellement plus grands, plus talentueux. Depardieu, par exemple que j’appelle «trois par trois», c’est un chic type. Il analyse tout, je l’admire beaucoup. Il arrive sur un plateau, fait des plaisanteries, puis dès que ça tourne, il devient sans transition le personnage. Il est exceptionnel.

En cas de conflits, comment les vivez-vous?

En général, je n’ai pas de conflit mais dernièrement je me suis surpris moi-même en lançant à un metteur en scène: «Je n’ai pas aimé votre dernière mise en scène.» J’ose dire les choses.

Avez-vous une souffrance de votre jeunesse encore présente aujourd’hui?

J’ai souffert dans mon enfance et mon adolescence d’un manque de tendresse. Ma mère est partie lorsque j’étais enfant. Mon père nous a élevés seul. Nous avons manqué d’une mère. J’ai fui à 18 ans et j’ai intégré le Conservatoire de Paris. Marcela a vécu son enfance entre deux parents aimants et unis. Quand on reçoit de l’amour, c’est plus facile d’en donner. Elle me reproche de ne pas démontrer assez de tendresse, de générosité.

Quelle rencontre a changé votre vie (sans parler de celle de Marcela)?

Antoine Vitez de la Comédie française. Il a cru en moi.

Êtes-vous croyant?

À 16 ans, je voulais devenir pasteur. Disons que je crois au trou noir. Derrière le trou noir, l’inconnu de la création.

Comment se manifeste votre foi?

Je serre les dents ou je pleure pour me libérer.

Parlez-vous de vos péchés mignons.

Ils ne sont pas très éclectiques. Je me love sur le corps de Marcela. Plus modérément peut-être aujourd’hui…

Quel défaut regrettez-vous chez vous?

J’aimerais être plus intelligent. Je me trouve très bête. Je ne prends aucune distance avec mes réactions.

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur notre actualité et la guerre en l’Ukraine?

L’être humain n’a rien appris.

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