Le député des français établis en Suisse et au Liechtenstein assume toutes ses provocations. Bouffon et stratège, cet anticonformiste extraverti voue sa vie au travail, se cache dans la lumière crue de ses fanfaronnades. Vilipendé par les uns, loué par les autres, il trace son propre chemin sur le fil du rasoir. Interview.

Bonjour Monsieur le député et merci d’avoir accepté de répondre à cette interview.

Vous avez recontextualisé l’élection municipale de l’exPremier ministre Edouard Philippe, désormais maire du Havre, en insistant sur «une abstention record». Pourtant vous avez été vous-même élu député en 2017 avec une abstention de 81,22% au second tour. Mettriez-vous en doute votre propre élection?

A l’étranger, il est souvent reproché aux députés d’être élus avec une moindre participation. On peut comprendre que les binationaux se désintéressent de la politique hexagonale. Mais l’élection municipale est destinée à construire l’environnement de tous les jours. Le Covid-19 ne suffit pas à expliquer l’abstention du dernier scrutin. Il y a un désengagement des gens pour construire leur milieu de vie au plus près d’eux, c’est beaucoup plus grave qu’une indifférence pour les législatives ou les présidentielles, je pense qu’ils n’y croient plus.

Pensez-vous que vos électeurs de 2017, qui ont voté pour le candidat du parti en Marche, se reconnaissent dans le député Joachim Son-Forget, sans parti, non inscrit, avec une orientation politique très à droite?

Quand j’ai quitté le parti La République en Marche, dont je me suis auto-éjecté, les réunions du parti LREM en Suisse étaient moins fréquentées. Je suis très prétentieux en l’affirmant, mais c’est factuel. J’ai recréé un noyau de ressortissants autour de moi et de mes idées politiques. Au lieu d’avoir une majorité imposante de Français typiques du secteur tertiaire en Suisse, j’ai vu arrivé de nouveaux profils. Des personnes moins intéressées par les chichis et exerçant des métiers plus simples. Alors, oui, elles sont peut-être plus de droite, mais aussi avec une conscience écologique.

Depuis que vous avez choisi de rejoindre le banc des 17 députés non inscrits à l’Assemblée nationale, n’avez-vous pas perdu la force d’un parti pour représenter les Français de votre circonscription?

Dans l’hémicycle, j’ai moins de temps de parole, il faut faire plus synthétique et plus efficace. Mais je suis beaucoup moins muselé. Je peux poser plus de questions au gouvernement. Au sein du parti en Marche qui compte 300 députés, on peut poser une question par an au maximum.

En revanche, dans les Commissions auxquelles je participe, je parle autant que mes collègues, notamment dans la Commission Covid-19. Je peux challenger la personnalité auditionnée, sinon cela ne sert à rien. Mes électeurs reçoivent un e-mail mensuel sur mon activité parlementaire. C’était une promesse de campagne qui coûte cher sur mon indemnité, mais je suis content de la respecter. Et il n’y a aucun d’humour décapant!

Que faut-il comprendre derrière vos provocations à répétition sur les réseaux sociaux, grossières, voire vulgaires: des dérapages incontrôlés ou une stratégie au service de vos ambitions politiques?

C’est une façon d’écrémer. Je ne cherche pas à toucher un public de masse. Je préfère rallier des individus de qualité, se hisser les uns les autres, car pour moi c’est le sens de la vraie solidarité. Les provocations sont des détournements d’attention et en même temps l’ironie permet d’attirer l’attention sur les hypocrisies de la vie politique. J’avoue que parfois j’y vais avec la truelle. Mais derrière ce cirque, il y a la grande tradition des arts martiaux qui consiste à mystifier les imbéciles pour les détourner du chemin et ne laisser persévérer que les élèves honnêtes qui cultivent l’humilité. Après tout, Jésus n’avait que douze disciples avec Judas au milieu. On ne peut pas éviter une mauvaise pioche de temps en temps, même avec un bon RH. Attention, je ne me prends pas pour Jésus, je n’aime pas les sandales.

Mais, je fais beaucoup moins de pitreries, vous ne trouvez pas? Je crée de la rareté; lorsque j’en lâche une, tout le monde se rue dessus.

Est-ce que vous détournez et attirez l’attention en même temps pour mieux préparer votre chemin initiatique vers la campagne présidentielle de 2022?

Je considère une campagne présidentielle comme un moment décisif pour présenter une voie alternative aux citoyens, sans pour autant chercher l’approbation dans les urnes. Ce n’est pas grave de réaliser un score minable quand on a eu l’audience des Français, surtout s’ils montrent de l’intérêt à mes propositions.

Actuellement, je suis partagé entre deux voies: aller chercher mes 500 signatures et perdu pour perdu, terminer en beauté. Ou choisir la voie tranquille, me retirer de la vie politique à la fin de mon mandat de député. Je pourrais garder une présence publique avec moins de phrases et porter en avant plus de réussites collectives, entrepreneuriales avec des emplois à la clé. La seconde option est la plus raisonnable, mais la première me démange aussi. Je suis beaucoup sollicité par les jeunes de droite qui n’ont pas de champion vers qui se tourner. Les divisions des partis de droite créent un vrai boulevard.

Vous avez éreinté pas mal de vos anciens camarades de LREM; en revanche, vous soutenez toujours autant Emmanuel Macron, pourquoi?

Lorsqu’Emmanuel Macron s’est lancé dans la course à l’Elysée, il savait communiquer sa confiance à des passionnés sortis de nulle part et je lui serai éternellement reconnaissant pour la chance qu’il m’a donnée. En 2016, il m’a dit «fonce, vas-y si tu peux convaincre les électeurs  Français de Suisse et du Liechtenstein de me suivre». Je suis toujours en contact avec lui. Je suis d’une droite plus libérale et conservatrice que lui. Dans le fond, je crois qu’il n’en est pas loin non plus.

Que pensez-vous de la détestation culturelle des Français à l’égard de leurs élites, notamment politiques?

Elle est en partie justifiée par le niveau de médiocrité d’une partie des élus et aussi de la haute administration. On l’a vu avec la crise sanitaire, que se passerait-il en cas de guerre? Vous imaginez une armée d’officiers, avec des administrateurs d’administrations qui administrent d’autres administrations et des décideurs incapables de décider ou juste décider qu’ils sont d’accord avec tout le monde? Les Français dénoncent le système à travers des mouvements de révolte mal canalisés comme les Gilets jaunes. Mais il y a un fond sincère, on ne peut pas le nier. Il faut ajouter autre chose, pas très populaire. Quand les Français sont mécontents, ils se défaussent sur les élites sans se remettre en cause individuellement et collectivement. Se demander comment faire mieux, progresser, confronter son égoïsme aux intérêts généraux, penser aux autres.

Est-ce que celles et ceux qui vous détestent agissent de façon blessante à votre égard?

Ce qui me blesse le plus, ce sont les menaces de mort anonymes. J’en reçois beaucoup.  A priori, au vu des messages, elles émanent de groupes extrémistes de gauche, mais aussi d’antisémites suprémacistes. Parce que deux de mes enfants portent de prénoms hébreux, ce qui montre mon attachement à cette culture, certains font des raccourcis.

Qu’estce que le modèle suisse apporte à votre réflexion politique de député et éventuellement de futur candidat à la présidentielle française?

Le modèle répond à beaucoup de questionnements des Français, notamment tous ceux qui sont en défiance du système politique français. Le modèle fédéral basé sur la décentralisation, responsabilise les élus qui agissent dans leur environnement proche. Une forme d’humilité et de disponibilité est pratiquée par l’élite helvétique. Très tôt dans la crise des Gilets jaunes, j’ai proposé de mettre en place une consultation populaire. La population suisse est habituée à voter à tous les niveaux de l’exercice politique: communes, cantons, Confédération. En France, nous ne sommes pas éduqués dans cette culture. Je souhaiterais que les Français s’entraînent à répondre plus souvent à des objets locaux.

Vous postez sur votre compte Twitter de nombreuses photos sur lesquelles vous vous mettez en scène avec des armes. Pourquoi?

Je fais partie des compétiteurs d’un circuit international de tir sportif de vitesse et à très longue distance sur des cibles situées entre 600 à 3200 mètres. J’ai une vraie passion pour cette activité qui intègre les conditions environnementales, le moment présent, le contrôle psychologique et des connaissances techniques pointues. J’organise des stages de tir, je donne des cours, je fais fabriquer des pièces et des accessoires pour augmenter l’ergonomie au service du pratiquant.

Quel homme êtes-vous dans le privé?

J’ai trois enfants. L’aîné, d’un premier mariage est âgé de 13 ans et vit avec sa maman en France. Il veut discuter politique, il a développé le même sens de l’humour débile que moi, je vois ses posts sur Instagram qui sont du même niveau que les miens. Pendant le confinement, je n’ai pas pu le voir. On a compensé en jouant à distance à des jeux vidéo.

Les deux plus jeunes ont 5 ans et 9 mois. Mes enfants sont certainement ceux qui ont le moins de mon temps. Je ne suis pas beaucoup à la maison entre mon mandat de député et mes déplacements à l’étranger. Mon épouse qui doit supporter mes absences est tolérante et conciliante. Je me dois d’anticiper l’avenir pour elle et les enfants.

Plus jeune, j’ai connu de grandes passions amoureuses et parfois éphémères avec une chute parfois violente. C’est après la rupture avec ma première femme que j’ai appris le clavecin, enfermé dans un appartement à Genève pendant quatre mois, mais c’était la dernière fois que j’ai été très malheureux.

Vous évoquez très peu votre enfance et vos parents adoptifs?

Je veux bien évoquer ma mère, une femme très attachante, mais je n’aime pas parler de mon père. Entre 10 et 17 ans, j’ai été scolarisé à la maison. Des années d’isolement qui m’ont paru très longues. Une idée idiote de mon père. Il voulait s’occuper lui-même de l’enseignement, mais je ne l’ai pas laissé faire. J’ai étudié tout seul et j’ai eu tout le temps de réfléchir. J’ai développé la passion des arts martiaux. Mes sorties étaient dans la forêt à côté de la maison, les leçons de musique et le catéchisme avec l’espoir d’y rencontrer des copines. J’ai trois frères et sœurs, adoptés comme moi.

Parmi vos «trucs» de psychologie cognitive sur votre site perso, on peut lire: «Cacher dans la lumière (Sun Tzu)»: la meilleure dissimulation se fait en ne cachant rien, ou en laissant en évidence ce qu’on veut dissimuler.» Que dissimulez-vous?

Je dissimule des zones d’ombre dans lesquelles je me suis retrouvé malgré moi, à transformer en rayons de lumière. Je ne suis pas très rancunier avec les gens, cela vous ronge de l’intérieur.

Combien d’heures dormez-vous?

Entre quatre et cinq heures par nuit. Je rattrape le sommeil en retard une fois par semaine.

 Où partez-vous en vacances?

A la montagne entre la France et la Suisse. J’aime être au frais et dans la nature.

 

Photo : Dans cette ruelle du Vieux Genève, se trouvait l’appartement dans lequel Joachim Son Forget a pansé les plaies de son dernier grand chagrin d’amour grâce à l’apprentissage du clavecin. ©adx

Pin It on Pinterest

Share This