À la veille de participer aux Rencontres du 7e Art Lausanne, fondées et présidées par l’acteur et réalisateur romand Vincent Perez, Karine Viard nous accorde quelques minutes, à la nuit tombée, tout juste rentrée de son jardin.

Un événement prometteur pour celle dont le grand-père était Suisse et qui a passé de nombreuses vacances sur les terres helvétiques. Elle est l’une des actrices françaises préférées du public, alternant avec talent des rôles aux antipodes les uns des autres, tantôt hilarante, tantôt inquiétante, toujours juste et sincère. Celle qui incarne tant de profils divers ne cesse, à travers les films auxquels elle participe, de questionner la place de la femme dans la société. L’occasion de l’interroger sur sa propre vision, au-delà de ses compositions, à l’heure où la parole des femmes se libère comme elle ne l’avait jamais fait, en particulier dans le milieu du cinéma.

Pour quelles raisons avez-vous souhaité participer aux Rencontres du 7e Art à Lausanne?

J’ignorais l’existence de ce festival et, dans la mesure où j’étais disponible, j’ai accepté. Je trouve toujours sympathique de découvrir de nouveaux événements, d’autant plus lorsqu’ils se déroulent en Suisse.

Quels sont vos liens avec ce pays?

Mon grand-père qui m’a élevée était Suisse. J’y ai par conséquent un attachement particulier. J’y allais souvent en vacances petite et en conserve de bons souvenirs. Il y a peu de choses aussi belles que les alpages suisses! J’y ai également tourné un film avec Alain Tanner, «Fourbi». J’adorais cet homme.

«Lulu femme nue» sera projeté lors de ces Rencontres. Que représente ce film pour vous?

Il a une place un peu à part dans ma filmographie même s’il est extrêmement difficile de choisir entre ses enfants! Il a été réalisé par mon amie Solveig Anspach avec qui j’avais tourné «Hauts les cœurs». J’adorais cette femme qui malheureusement est morte. C’est l’une des raisons qui explique mon attachement à ce film, il lui ressemble beaucoup.

Vous y incarnez Lulu, une femme qui choisit de prendre le large. Dans quelle mesure cette démarche vous paraît-elle nécessaire?

Reprendre un peu le pouvoir sur sa vie et ne pas laisser les autres décider à sa place: c’est fondamental! C’est ce que nous devons faire, tous, toutes. Hommes et femmes. On s’impose souvent des obstacles à soi-même. En réalité, on a tous les droits. Et surtout ceux que l’on se donne. Reprendre le pouvoir sur sa propre existence et reconnaître que nous avons le droit de faire exactement ce que l’on souhaite et de la manière qui nous convient, peu important ce que les autres en pensent, c’est essentiel. Chacun est responsable de ce qu’il pense, de ce qu’il décide de faire.

Vous avez pu dire que «les femmes sont complices de leur propre asservissement à un système» et que vous préfériez, personnellement, «présenter la facture». Êtes-vous toujours de cet avis?

Complètement! Il n’y a pour moi aucune fatalité. Même dans les situations qui apparaissent les plus complexes, il y a toujours un moment, un endroit où il est possible de refuser et de dire non. Je ne dis pas que c’est facile. Cela requiert du courage, il faut du cran. Il y a sans doute beaucoup de chemin à faire pour les gens qui manquent terriblement de confiance en eux ou qui ont pu vivre avec des conjoints violents.

La place des femmes est un sujet que vous interrogez souvent à l’occasion des rôles que vous endossez. Quels sont, pour vous, les plus grands malentendus entre hommes et femmes?

Il est difficile de réagir à cette question, c’est si large. Je dirais que le principal malentendu entre nous est sans doute lié à l’idée que l’on se fait les uns des autres. Une femme est comme ceci, un homme comme cela. Il existe toutes sortes de généralités qui accompagnent les statuts d’homme et de femme.  Ce prêt-à-penser est je trouve très intéressant.

Vous avez cosigné le scénario d’«Une nuit» d’Alex Lutz. Une expérience que vous pourriez renouveler?

Je n’avais jamais eu l’occasion de rédiger un scénario et j’ai trouvé cela très plaisant. J’ai beaucoup apprécié travailler avec Alex sur l’écriture de ce film. Alors réitérer l’expérience? Oui, pourquoi pas, si c’est en bonne compagnie! C’est toujours amusant de réaliser des choses différentes de ce qu’on a l’habitude de faire.

Le couple dans la durée, c’est aussi le sujet du film «Nouveau départ» dont vous partagez l’affiche avec Franck Dubosc. Quel est le pire-tue l’amour pour vous dans un couple: le temps ou les enfants?

Les enfants sans hésiter! Ils sont un véritable tue-l’amour! Un couple sans enfants s’occupe de lui comme d’un enfant. À l’inverse, lorsqu’on a des enfants, on les fait en général passer avant. Heureusement, certains résistent à ce piège mais, globalement, c’est compliqué car les enfants sont très chronophages et nous épuisent. Mais je dirais que le plus grand tue-l’amour, c’est d’arriver à penser à l’amour comme à une chose ennuyeuse.

Vous affichez une image de bonheur et de sérénité sur les réseaux, notamment avec votre mari Manuel Herrero. Quel événement vous a rendu le plus heureuse dans votre vie?

La naissance de mes enfants, sans hésiter aussi! Un lien indéfectible nous unit. C’est tout de même une chose assez folle! À la naissance de ma fille aînée, je me suis dit que mon corps était mon meilleur ami. Il m’a permis d’avoir un enfant: un petit être normal, avec tous ses membres, tous ses rêves, il était parfait. C’est très troublant.

Comment fait-on selon vous, pour renouveler la passion et demeurer amoureux?

La bonne communication me paraît essentielle pour faire perdurer le sentiment amoureux. La qualité des moments est très importante. Il faut savoir se rendre vraiment disponible l’un pour l’autre, sans réseaux sociaux, sans interférences. Et ce n’est pas toujours facile. Se ménager des temps l’un en face de l’autre, pour parler, pour communiquer me semble la meilleure façon de faire durer l’amour.

Les femmes vous paraissent-elles désormais mieux représentées et plus écoutées dans le milieu cinématographique?

Trois femmes nommées aux Césars pour la meilleure réalisation, cela ne s’était jamais produit avant. C’est un progrès, certes mais, en même temps, c’est assez normal aussi. Quant à la libération de la parole des femmes que vous évoquez, elle est salutaire. Certains comportements ont pu, à l’époque, être considérés comme normaux. Cela a été mon cas, également.

Vous est-il arrivé d’être confrontée à des situations similaires à celle vécue par Judith Godrèche?

Je n’ai pas été agressée comme elle l’a été. Mais il a pu m’arriver de subir des choses en pensant que c’était un peu normal: des réflexions hypersexistes, des rapports de domination, le fait d’être moins bien payée que les hommes… Je ne me posais pas de questions. Au fond, à l’époque où Judith Godrèche vivait avec Benoît Jacquot, je n’osais pas lui dire que ce n’était pas normal, même si personnellement, je n’aurais pas eu envie de cela pour moi. Je me disais que c’était une jeune femme très mature en fait. C’est fou de réaliser à quel point on avait complètement intégré le rapport complètement inapproprié des hommes avec les femmes.

Que pensez-vous du fait que des parents aient pu accepter ce type de situations?

C’est complexe. Ils ont pu laisser faire en ayant l’impression que c’était le bonheur de leur enfant. C’était une époque assez folle. Malheureusement, il faut remettre cela dans le contexte. Ce n’est pas une raison pour trouver cela normal. Ça ne l’est pas du tout. Et Judith a raison de parler comme elle le fait. On a pu penser à l’époque qu’il n’y avait rien d’anormal à ce que des hommes sortent avec des très jeunes femmes. Mais c’était anormal et révélait de vraies situations d’emprise.

Vous alternez des films où l’on rit beaucoup avec d’autres, parfois nettement plus sombres, mais où l’humour demeure. Comment l’expliquez-vous?

J’aime mettre de l’humour dans le drame et du drame dans l’humour: c’est ce qui me paraît rendre les choses plus intéressantes, plus importantes. J’aime bien que l’on puisse rire de quelqu’un qui vit un drame mais, à l’inverse, j’apprécie qu’un drame ce ne soit pas juste quelque chose de terrible. Il m’apparaît important de mettre de la subtilité et de ne pas être trop manichéen avec les genres de films que l’on fait.

Vous êtes très populaire et appréciée du public. Comment vivez-vous cette notoriété?

C’est une chance et ce n’est jamais pénible. Les gens sont très sympathiques avec moi. Ils me respectent. Je n’ai jamais été confrontée à une familiarité désagréable ou dérangeante. C’est plutôt moi qui les remercie! Le public me fait vivre et je lui en suis reconnaissante.

Vous avez tourné avec de nombreux acteurs et actrices. Quels sont celles et ceux avec lesquels vous souhaiteriez jouer?

Il y en a plusieurs. Je pense à Jean Dujardin, à Sandrine Kiberlain… J’aurais beaucoup de plaisir de travailler avec eux. En revanche, je n’éprouve pas cette sensation évoquée par certains, celle d’être en admiration devant quelqu’un qui nous inspire. Aucun acteur, aucune actrice ne m’a particulièrement donné envie de faire ce métier.

Qu’est-ce qui vous pousse à accepter un rôle?

Le désir, l’envie. Ce n’est pas toujours très cohérent, mais quand j’ai l’impression de pas l’avoir fait. La nouveauté me stimule. Je demeure dans l’attente de nouvelles propositions.

Pin It on Pinterest

Share This