Bien avant le coronavirus, une doctoresse valaisanne a étudié les dégâts de l’influenza après la Première Guerre mondiale. Elle aurait causé 100 millions de morts, alors que le bilan mondial actuel du Covid-19 est de 75 000 victimes.

«Autour de moi, les femmes et les enfants meurent de la grippe en trois jours. Je tremble pour ceux que j’aime», pleure l’écrivain français Roger Martin du Gard en juillet 1918. Alors que la Première Guerre mondiale occupe les esprits depuis presque quatre ans, les Valaisans prennent connaissance par les journaux de l’apparition d’une épidémie dont la rapidité d’extension engendre les spéculations les plus effrayantes, écrit la Dresse Laura Marino dans une thèse de doctorat publiée en 2014*.

La rumeur va parler de dengue, de fièvre tropicale, de typhus et même de la peste, voire d’une maladie mortelle larguée sur les côtes américaines par les sous-marins allemands! Il faudra plusieurs semaines pour que le corps médical puisse convaincre la population qu’il s’agit de la grippe, un nouveau fléau qui restera dans la mémoire collective sous le nom de «grippe espagnole». L’Espagne est fortement touchée dès le mois de mai, avec 8 millions de malades, dont le roi d’Espagne Alfonso XIII.

En juillet, alors qu’elle est déjà présente en France, en Allemagne et aux Etats-Unis, la «grippe espagnole» atteint la Suisse: «Sa forte contagiosité et les complications fréquentes, notamment pulmonaires, en font une épidémie singulière, résume la thèse de Laura Marino. La mortalité est en moyenne de 1% pour la population mondiale, alors que sa létalité est de 25 fois supérieure à celle de la grippe saisonnière.» Selon A.W. Crosby, un historien américain de la fin du XXe siècle, sur une période d’un peu plus d’un an, le virus influenza de 1918 a tué plus d’hommes qu’aucun autre agent pathogène dans l’histoire de l’humanité. Son impact démographique peut être comparé à celui de l’épidémie de peste noire de 1347-1348. Aux Etats-Unis, en 1918 l’espérance de vie a reculé pour atteindre celle de 1903. En rapportant le taux de mortalité à la population actuelle des Etats-Unis, cela représente plus de morts que les décès cumulés dus aux maladies cardiovasculaires, cancer, maladies pulmonaires chroniques et sida en un an.

25 000 décès en Suisse

La mortalité globale reste de nos jours difficile à estimer, étant donné l’absence de tests sérologiques pouvant poser un diagnostic certain. Les experts s’accordent sur une fourchette, assez large, qui va de 20 millions à 100 millions de morts, dont peut-être 20 millions pour le seul sous-continent indien!

Les premiers cas d’influenza sont apparus parmi la population helvétique au mois de mai 1918, parmi les soldats contaminés aux frontières. Le contexte historique est important. Si l’épidémie avait émergé dans un contexte de paix, elle n’aurait sans doute pas fait autant de victimes: promiscuité dans les camps militaires surpeuplés de soldats affaiblis et malnutris, grands mouvements d’hommes par rail et bateau, etc.

En Suisse, 748 610 cas de grippe sont déclarés, mais le Service suisse de l’hygiène publique (SSHP) estime que les grippés s’élèvent à 2 250 000, soit une morbidité atteignant 60%. Pour la période 1918-1919, 24 977 décès sont à déplorer, soit une mortalité de 0,65% (réd.: à l’heure actuelle, on dénombre 641 morts en Suisse dus au Covid-19 et 73 139 dans le monde). Rapportée à la population suisse actuelle, la pandémie toucherait plus de 4 millions d’habitants avec 380 000 à 390 000 décès.

Débat sur le port du masque

Comme pour le coronavirus au sein de la corporation médicale, la discussion s’engage sur le port du masque, certains y voient l’unique moyen de combattre effectivement l’épidémie, même s’il est «très pénible de travailler avec un appareil constamment sur le visage». Pratiquement, le port du masque ne paraît pas possible pour les personnes soignant les malades. Le masque donne une fausse sécurité, estiment d’autres: c’est le malade qui doit être masqué pour protéger l’entourage, peut-on lire dans la Revue médicale suisse. Lors de la deuxième vague en octobre 1918, des mesures plus contraignantes sont prises par les autorités: désinfection des locaux et de la vaisselle des cafés, dont on ordonne la fermeture dès 21 heures, nombre de places occupées par les clients restreint, amélioration de la ventilation. Les collèges sont transformés en lazarets sous la houlette de bonnes sœurs. Dans les fabriques, on prévoit une réduction des heures de travail ainsi qu’une convalescence d’au moins quinze jours pour les patients grippés. L’interdiction d’organiser des bals et des grands rassemblements, des représentations théâtrales, la suppression des répétitions de chant, de musique et de gymnastique, tout cela contribue à créer une atmosphère oppressante.

A l’armée, le nombre de malades grimpe jusqu’à 14 023 par jour en novembre à l’occasion de la grève générale. Au total, sur 365 000 hommes mobilisés, 1805 décès (0,5%) sont déplorés. La polémique enfle sur la responsabilité du commandement.

Utilisation du téléphone réglementée

A Sion, il sera interdit d’emprunter des livres dans les bibliothèques pour limiter la contagion. L’utilisation du téléphone est strictement réglementée: «Le public est prié de ne plus téléphoner et que, dans les cas d’urgence, il est prié de faire usage de la poste.» Les administrations communales sont invitées à retarder la réouverture des classes. De manière générale, la prévention de l’épidémie est demeurée l’affaire des autorités cantonales et communales, même si le SSHP (aujourd’hui OFSP) est resté en rapports constants avec les autorités cantonales.

L’affolement du public fut général, poursuit la Dresse Marino: «Son premier geste fut de se ruer sur les pharmacies et de les dépouiller en 24 heures de toutes les provisions d’antiseptiques et de désinfectants, qui, en temps normal, auraient suffi pour des années. Les pharmacies furent littéralement prises d’assaut. Les bourses les plus modestes, les personnes les plus pauvres offraient de l’argent sans compter et sans marchander pourvu qu’elles obtinssent un peu de camphre ou d’eau oxygénée, panacées préconisées comme aptes à préserver du virus infectieux.»

Sur le plan international, la pandémie de 1918 poussera la Société des Nations à créer l’Office international d’hygiène publique, qui deviendra l’OMS en 1948.

La thèse de la Dresse Marino se termine par une citation prémonitoire: «Etant donné l’impuissance de la science en présence de la malignité et de la rapide extension du fléau, les installations les mieux organisées, au point de vue sanitaire, seraient trouvées en défaut! Qu’en sera-t-il de la prochaine pandémie?»

*  La Grippe espagnole en Valais (1918-1919), Dresse Laura Marino, Unil 2014.

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