On connait l’acteur, peut-être moins le chanteur. Lambert Wilson se lance dans le baroque et interprète à Genève et Evolène des cantates de Bach. Un enchantement.
C’est dans l’intimité de son appartement parisien que Lambert Wilson nous reçoit à l’occasion des concerts qu’il s’apprête à donner en Suisse. A son actif plus de cent-vingt films de tous registres, pièces de théâtres, mises en scène, comédies musicales… et pourtant, cet incroyable touche-à-tout n’a de cesse de se renouveler, en particulier en matière de musique classique, domaine qu’il investit avec passion et raffinement, à son image. Poursuivant son travail avec le Lemanic Modern Ensemble après avoir célébré avec lui le compositeur Kurt Weill, l’artiste se produit sur les terres helvètes qu’il affectionne depuis sa tendre enfance. Entre la promotion de son dernier film «5 hectares» et l’organisation des Millésimes de Tonnerre, festival qu’il a créé, il s’astreint sans relâche et avec joie à la discipline requise par les pièces choisies. Rencontre privilégiée autour d’une voix singulière.
Que représente la voix pour vous?
Elle me fascine complètement! Tout ce que j’acquiers en technique vocale pour le chant, je le mets évidemment au service du jeu de l’acteur. Le travail que j’effectue est passionnant: il débouche sur la découverte d’un instrument particulièrement mystérieux puisqu’il est caché, à la différence des musiciens qui l’ont devant eux et qui me permet d’accéder au répertoire baroque, ce que je vais faire en Suisse. Cela fait plus de 40 ans que je travaille ma voix et je continue à me perfectionner. C’est comme si, d’une certaine façon, j’avais été chanteur dans une autre vie et qu’il fallait que je retrouve ces sensations.
Croyez-vous en la réincarnation?
C’est étrange, j’ai l’impression que le chant a dû compter à un moment donné, j’ai le sentiment de le retrouver. Mais ce sont des retrouvailles lentes… Arriver à faire quelque chose digne de ce nom prend beaucoup d’années. J’en connais la raison: j’ai concentré mon énergie sur l’apprentissage du théâtre puis sur ma carrière d’acteur. Parallèlement, j’ai pris des cours de chant mais je ne pouvais pas y accorder beaucoup de temps et j’étais un peu brouillon dans mon approche. J’ai aussi travaillé le répertoire de la comédie musicale, moins exigeant que le classique.
De quelle manière exercez-vous désormais votre voix?
J’ai régulièrement fait des spectacles musicaux et chantais par à-coups. J’ai profité de la période du covid pour chanter tous les jours. J’ai découvert un répertoire plus classique et ai persévéré dans cette direction, organisant certains concerts classiques. Je m’astreints depuis peu à une discipline quotidienne.
Avez-vous hésité entre les carrières d’acteur et de chanteur?
Non et c’est dommage. Je voudrais tellement revenir à mes treize ans quand j’ai commencé à souhaiter être acteur et à 17 ans, quand j’ai auditionné en Angleterre et que j’ai eu cette espèce de confrontation avec mon père qui devait financer mes études. En réalité, ce que j’aimais profondément je crois, c’était la musique chantée.
Eprouvez-vous des regrets à cet égard ?
C’est inutile et on ne peut revenir en arrière. Si mon père avait été moins frontal dans son opposition, les choses auraient pu être différentes. Mais il aurait été difficile de lutter contre mon désir d’être acteur de cinéma. Je voulais malgré tout très fortement être une star de cinéma américaine. Voilà, je voulais être Robert Redford!
De quelle manière êtes-vous parvenu à mener ces deux carrières de front?
J’avais une énergie folle. J’étais passionné et ai pris des cours classiques. A partir de l’âge de 21 ans, les choses sont devenues moins cohérentes. Je commençais à faire du cinéma et, parallèlement, je chantais du Mozart dans des émissions. Les producteurs s’interrogeaient! J’ai connu des expériences fortes en comédie musicale, d’un niveau exigeant: Candide de Bernstein au Châtelet à Paris, à la Scala de Milan par exemple. Le chant classique l’est encore davantage, impossible de se présenter si ce n’est pas impeccable, surtout en tant qu’acteur: la condescendance est tellement forte!
On a le sentiment que votre passion est désormais plus vive pour la musique que pour le cinéma. Est-ce le cas?
Je me rends compte en effet que toutes mes préoccupations ont à faire avec la musique! Je m’apprête à chanter du Bach en Suisse, j’organise des concerts en tant que récitant avec orchestre et m’occupe du festival de musique classique que j’ai créé à Tonnerre. La levée de fonds est très chronophage, c’est un métier à part entière. J’ai dû me porter garant personnellement et le festival me coûte très cher. Concernant le cinéma, je suis en terrain connu même si j’attends comme tout le monde le meilleur scénario. Vous savez, et c’est Catherine Deneuve qui disait ça, «on écrit dans le sable comme acteur»: il y a une faculté d’oubli incroyable. Et j’ai la même sensation que j’avais en quittant l’école de théâtre. Malgré 45 ans de travail, j’ai toujours l’impression qu’il faut tout recommencer, tout le temps.
Y a-t-il des acteurs et des actrices avec lesquels vous auriez envie de jouer?
Mis à part tout ce qui lui est reproché et considérant uniquement l’artiste, j’aurais aimé jouer avec Gérard Depardieu: il est à la fois fascinant et effrayant, un fauve en même temps incroyablement délicat, extrêmement sensible. C’est un Minotaure! Pour tout vous avouer, j’étais un petit peu furieux qu’il m’ait piqué l’idée de chanter Barbara! J’adorerais aussi me retrouver sur le chemin de Meryl Streep, c’est ma déesse, ma muse secrète, l’absolue référence. Je pense aussi à Anthony Hopkins.
Utilisez-vous vos techniques d’acteur lorsque vous chantez?
Absolument pour la chanson et la comédie musicale. Ma technique d’acteur n’est en revanche d’aucune utilité dans la musique classique et peut même gêner: il faut être ici une statue, l’émotion ne doit passer que par la voix et la musicalité.
Pour qui chantez-vous?
Je chante pour l’univers, pour me mettre en phase avec une beauté que je pressens, particulièrement avec Bach, père de toutes les musiques: on est avec lui dans une harmonie musicale qui donne de la paix. Je chante aussi pour être avec des musiciens. La jubilation de la musique tient au fait que, comme dans le chant choral, on avance ensemble. C’est une sensation qui procure de la joie, très différente du théâtre et du cinéma.
Vous avez endossé le rôle d’un professeur de musique dans «Au bout des doigts». Ce film occupe-t-il une place à part?
Oui, j’ai adoré le faire. Il m’a permis de concilier mon activité d’acteur au cinéma avec la musique, comme avec «Pas sur la bouche» d’Alain Resnais, c’est rare. Jules Benchetrit a réalisé une performance incroyable. C’était absolument bouleversant de le retrouver. Il savait que j’avais accompagné sa mère Marie Trintignant, dans ses derniers instants en chantant. C’était un non-dit, mais clairement là. Quand on interprète un pédagogue et qu’en plus, on a cette affection profonde pour une jeune personne, tout se mélange.
Que retenez-vous de la présidence du Festival de Locarno l’été dernier?
Une expérience magnifique, tant avec les membres du jury que le public, très différent de Cannes où les gens viennent pour voir des stars, se montrer… Locarno se distingue nettement et c’est merveilleux, d’autant que je suis très attaché à la Suisse. Ce pays est ma madeleine de Proust. Lorsque j’étais enfant, nous allions très souvent avec mes parents dans le canton de Vaud. Tout me plait, la neige l’hiver, les alpages l’été, les fleurs, le foin, les vaches, le ski et les petits villages… Tout ce qui m’affecte disparaît dans ces endroits. J’y suis parfaitement bien.
Selon vous, la littérature s’apparente-t-elle à la musique?
C’est le même vocabulaire: on parle de construction, de rythme, d’intonation. Ma fréquentation de la musique, me permet de parfois mieux comprendre la façon dont les écrivains travaillent, surtout lorsque je lis à voix haute. J’applique à la langue écrite les exigences posées par la musique. Si je lis Proust en public, je suis obligé d’être musicien: je vais utiliser une variété de hauteurs, d’intonations pour que les gens comprennent où est le sujet, puis le complément d’objet direct qui sont séparés de plusieurs lignes!
La lecture de multiples scenari vous laisse-t-elle le temps pour d’autres livres?
Je culpabiliserais énormément si je n’avais pas un livre dans mon sac en permanence J’adore lire dans les transports et ai du mal à lire ailleurs. Je me suis embarqué dans une épopée de 3500 pages d’un auteur norvégien – Karl Rove Knausgaard – qui me plait beaucoup. J’ai également découvert Sorj Chalandon avec «L’enragé». Je voudrais me consacrer davantage à des biographies, savoir ce qu’a été la vie des gens.
Et écrire vous-même un livre?
J’y réfléchis. Thomas Mann a écrit cette phrase sublime: «Un écrivain est un homme pour qui c’est plus difficile d’écrire que pour les autres»! Je sais écrire mais particulièrement des figures imposées comme des lettres de rupture… Je tourne autour du sujet du père, des fils, des frères. Je n’ai pas eu n’importe quel père (Georges Wilson): son histoire est incroyable, poignante. C’est comme faire un film: je me dis toujours que je le ferai, mais l’écriture n’est pas pour maintenant.
Etes-vous d’accord avec l’expression selon laquelle «La voix est un second visage»?
Je pense même que c’est le premier, le plus singulier. Il est toutefois difficile d’apprécier sa propre voix et on ne peut la changer, contrairement au visage. Il faut s’accepter ainsi.
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