Photographies : © Pierre Vogel
Nous avons été reçus chez lui à Bursins, quelques jours après Noël. Le nouveau président de la Confédération s’est prêté aimablement et naturellement aux questions de Paris Match. Nous avons ri, échangé, amicalement et chaleureusement. Comment imaginer cela dans un autre pays que la Suisse? Cela nous a étonnés et fascinés.
Lorsque nous sommes arrivés, Caroline, son épouse, la première dame de Suisse, rangeait deux trois choses dans sa cuisine. Quelques mots aimables et son président de mari est arrivé accompagné de ses deux sympathiques chargés de communication. On s’est installé dans le salon. Pas de luxe ostentatoire. Un espace ouvert sur la campagne avec de grandes baies vitrées. Sa maison ressemble à notre nouveau président de la Confédération. Comme lui: ouvert, accessible et simple.
Paris Match Suisse. La politique. Vous ne pensez, ne respirez, ne vivez que pour cela…
Guy Parmelin. Surtout ces derniers temps, comment penser, respirer autrement? Nous avons vécu une année 2020 très difficile. Beaucoup de branches d’activités sont ébranlées. Il va falloir trouver d’autres styles de fonctionnement et imaginer de nouvelles stratégies pour la restauration et la gastronomie. Dans d’autres secteurs, de nouveaux modèles d’affaires vont voir le jour. Grâce au développement du télétravail, par exemple… L’Etat ne peut pas les inventer à la place des entrepreneurs, mais il s’agit de faciliter les évolutions nécessaires. Cela étant, j’essaie de vivre le plus normalement possible et d’éviter le stress. Sinon, comment agir sereinement dans cette période de pandémie? Sachant qu’on ne peut, à aucun moment, baisser la garde.
L’année qui vous attend va être «compliquée». Dans quel état d’esprit êtes-vous?
J’ai ressenti le besoin de décompresser durant ces fêtes de fin d’année. Ne rien faire durant deux jours me permet de me vider l’esprit. Je lis beaucoup. Les romans policiers, les classiques de la bande dessinée sont mes lectures préférées. Je regrette de ne pas pouvoir aller au concert ou à l’opéra, cela me manque beaucoup. C’est là que je puise mon équilibre.
Selon vous, quelles seraient vos plus grandes qualités?
Peut-être mon aspect terrien et concret. Je suis plutôt positif. Et sans aucun doute, très exigeant pour moi-même et pour les autres.
Et vos défauts?
Ma femme dit que je suis un dictateur (rires). En fait, mon pire travers tient au respect scrupuleux de l’horaire. J’ai horreur d’être en retard. Pour moi, être à l’heure, c’est déjà être en retard. Je prends toujours de l’avance/de la marge.
Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours?
La nuit est pour moi un moment vital de récupération. Et par chance, je dors bien.
Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir?
J’avoue qu’avec cette crise sanitaire, j’ai bien peu dormi la nuit du 17 au 18 décembre, la veille du jour où nous avons dû annoncer des mesures supplémentaires de lutte contre la pandémie. Et visiblement, je n’étais pas le seul membre du Conseil fédéral dans ce cas. Ce sont vraiment des décisions très difficiles à prendre. Nous avons pleinement conscience des conséquences; pour certaines personnes, c’est le travail d’une vie qui est remis en question d’un coup. Sans compter que toutes les autres branches sont aussi mises en péril. Mais nous devons évidemment tenir compte en premier lieu des impératifs de santé publique, même si nous savons que cela pèse lourdement sur le moral de la population.
Avez-vous des remords ou des regrets?
Il m’arrive d’avoir des regrets. Après une séance, une confrontation, je me dis parfois que j’aurais pu argumenter autrement. C’est néanmoins un sentiment très passager.
Quel genre de remords ou de regrets pourriez-vous avoir?
Dans le cas de la pandémie, ils sont nombreux: a-t-on fermé assez vite? Sommes-nous allés trop loin? Aurait-on dû laisser les magasins ouverts? La France est centraliste, nous pas. Chacun a son régime d’appréciation. Les gouvernements prennent des décisions et des mesures différentes mais malheureusement, il n’existe pas de recette miracle! D’ailleurs, j’observe qu’aucun pays n’a trouvé la solution parfaite.
En cas de conflits ou de disputes, comment les vivez-vous?
Que ce soit en politique ou dans ma vie privée, la dispute ne prend aucune proportion démesurée. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas rancunier. Je me souviens d’une confrontation musclée avec un vieux radical au Grand Conseil. Après la séance, il est venu vers moi et m’a dit: «L’affrontement a été vif, mais cela ne va pas nous empêcher d’aller boire un verre.» C’est précisément ce que l’on a fait.
Quelle force en avez-vous tiré?
J’ai conscience de ma chance d’avoir une famille unie. Mon père, mon frère, un de ses fils de 24 ans, ma sœur et ses trois enfants de 23 à 28 ans étaient tous là lors de mon élection à la présidence de la Confédération! Ils symbolisaient la force de notre famille.
Une souffrance, un manque qui seraient encore présents aujourd’hui?
Nous avons vécu plutôt modestement, mais je n’ai manqué de rien. Nous nous sommes installés dans la maison où je vis actuellement, en 1971, lorsque j’avais 12 ans. Je n’étais pourtant pas chaud à cette idée. Je m’éloignais du village et de mes copains. Mes parents m’ont ensuite acheté un vélo et finalement, je n’ai pas regretté!
C’est vrai qu’on ne partait pas en vacances. Mais cela ne m’a pas empêché d’avoir des souvenirs merveilleux, comme les week-ends où nous partions depuis Ouchy en bateau pour aller manger les filets de perches à Villeneuve. Nous revenions par le château de Chillon, cela me semblait magique. Mes parents n’étaient pas skieurs, on ne partait donc pas en montagne. Plus âgé, j’ai commencé à voyager à l’étranger, et avec ma femme nous allions régulièrement en Toscane, dans la maison construite par ses grands-parents, ce qu’elle et moi apprécions beaucoup.
Votre femme, un amour inconditionnel. Toujours à vos côtés. Comment supporte-t-elle vos absences?
Nous essayons d’être ensemble le plus souvent possible. Caroline a arrêté son activité d’enseignante après trente ans de bons et loyaux services. Elle est ainsi libre pour me rejoindre à Berne, en principe en milieu de semaine.
Elle me rappelle ironiquement que lorsque j’étais candidat au Grand Conseil, je lui affirmais n’avoir aucune chance pour la rassurer. Je lui ai également dit que je quitterais la politique après la réforme des retraites. Désormais, je n’ose plus lui faire de promesses…
Comment avez-vous rencontré Caroline?
Je l’ai rencontrée par hasard le jour de son anniversaire, un 25 mars! A la soirée du chœur mixte «L’Alouette» à Bursins, alors que je n’avais aucune envie d’y aller. Mon père m’a dit: «Il faut sortir, sinon tu ne trouveras jamais quelqu’un. Et la secrétaire de ton oncle sera là. (Rires) J’y suis allé.
Durant l’entracte, je discutais de mon voyage en Thaïlande avec un ami. Caroline s’est intéressée à la conversation. Elle avait décidé de faire un tour du monde durant un an. C’était trois mois avant son départ. On a beaucoup discuté et on s’est découvert énormément de points communs. Puis l’orchestre s’est mis à jouer. On a dansé… C’était en 1990.
Caroline est partie faire son tour du monde. On s’est écrit (poste restante) et on s’est téléphoné. Souvent. Elle m’appelait en PCV. Ça m’a coûté une fortune! (Rires).
Vous n’avez pas d’enfant, cela vous a manqué?
Ce sont les aléas de l’existence. Elle peut nous offrir aussi d’autres joies.
Avez-vous vécu des moments difficiles où votre couple aurait pu être remis en question?
Jamais! On se parle beaucoup. On communique. Et si je suis absent, on se téléphone au minimum une fois par jour.
La fidélité, c’est important?
Bien sûr! Sinon l’amour ne tient pas. S’il n’y a pas de fidélité, tout s’effrite.
Acceptez-vous de vieillir?
Avons-nous le choix?
Quel est votre rapport à la nourriture, du bout des lèvres ou avec excès?
J’adore manger! Même si je dois être attentif à ma ligne. Je m’efforce donc d’être discipliné. Tout me plaît dans la nourriture, que ce soit des coquilles Saint-Jacques ou une bonne viande. Ce qui est compliqué à Berne, c’est qu’on mange rarement à la même heure.
Un plat qui vous fait craquer?
Les endives au jambon! C’est incontestablement mon péché mignon.
Quels vins préférez-vous?
Je suis très chasselas. J’aime bien les vins de ma région. Avec un bon plateau de fruits de mer, une humagne blanche valaisanne m’enchante. Les rouges de chez nous sont magnifiques! Une nouvelle génération de vignerons magnifie nos vins, tandis que de nouveaux cépages viennent les étoffer. Avec un rapport qualité-prix imbattable. Dommage que nos vins rouges ne soient pas assez connus en Suisse alémanique. Comme le Château de Vinzel. Cela dit, j’avoue aussi un faible pour les vins de Bordeaux ou de Toscane.
Votre croyance semble présente, à chaque instant?
Je ne suis pas un pratiquant assidu, mais je suis croyant. J’ai un rapport très personnel à Dieu. Comme m’avait dit un jour le pasteur: «Si tu veux un contact avec Dieu, prie dans ta chambre; Dieu est avec toi.»
La religion vous aide aujourd’hui?
Le spirituel est important. Enfant, j’ai fréquenté assidûment le catéchisme, c’était une belle expérience. Le pasteur Daniel Curtet était un homme magnifique. Il m’a marqué. Français d’origine, il a amené des résistants de France en Suisse. Un être d’exception, comme on en rencontre peu.
Pensez-vous entretenir une relation saine avec l’argent?
L’argent ne fait pas tout. Mais en manquer peut rapidement accentuer les problèmes de l’existence. Etre à l’aise facilite la vie.
Dans ma famille, nous avons dû travailler dur. Nous n’avons pas compté notre peine. Si aujourd’hui notre entreprise vinicole est saine et viable, cela demande plus d’efforts que par le passé. Le marché et ses règles sont devenus plus complexes.
Quels seraient vos goûts de luxe?
«En fait, je n’ai pas de goût de luxe. Je me suis offert un jour une jolie montre, de manufacture suisse évidemment. J’ai fait le même cadeau à ma femme. Rien d’excessif.»
Sinon, j’aime les voyages que nous effectuons de façon aujourd’hui évidemment plus confortable que par le passé. Un autre luxe? Je suis un amoureux de musique classique. Je viens de m’acheter l’intégrale de Beethoven.
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