La crise dont on parle est à l’industrie et aux services ce que 2008 fut au secteur financier: un redoutable saut dans l’inconnu.   

Dans la consternation de la fin du mois de mars, les économistes pensaient rivaliser en pessimisme dans leurs prévisions de croissance pour l’ensemble de l’année 2020. Les services de recherche d’UBS et de Credit Suisse tablaient sur une sévère récession de -1% après une décennie de croissance vertueuse à plus ou moins 2%. BAK Economics tablait sur -2,5%. Autre référence en la matière, la Banque Cantonale de Zurich allait jusqu’à -4%. 

Moins de dix jours plus tard, juste avant Pâques, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) revoyait ses propres projections officielles: -7% si les affaires repartaient à plein régime au second semestre. Moins -10% en cas de crise prolongée. On sait aujourd’hui que ce sera le scénario du pire. Et l’on ne parle que de cette année. Personne ne se risque à faire des conjectures par rapport à l’exercice suivant. En fait, nul ne sait jusqu’où le pire peut aller dans des circonstances aussi insolites et brutales.

Parce que -10% de création de valeur dans l’industrie et les services, c’est quelque chose d’épouvantablement abstrait. La crise économique jugée particulièrement traumatisante que la Suisse a connue dans les années 1990, à la suite d’un krach immobilier de sinistre mémoire, n’avait en réalité donné que deux ans de récession: -0,9% en 1991, et… -0,1% en 1993. Rétrospectivement dérisoire. Le pays a connu une troisème année de récession quinze ans plus tard, après la crise financière de 2008. Mais là encore, la décroissance n’avait enregistré qu’un «modeste» -2,2%.

Il est un peu plus facile de se représenter les choses sur le plan des finances publiques. A ce stade tout au moins. Si tout se passe bien, la dette des collectivités suisses devrait augmenter de quelque cinquante milliards de francs.

Pendant une génération, la Confédération, les cantons et bien des communes ont consacré leurs excédents budgétaires au désendettement. La dette publique de la Suisse n’était-elle pas de 50% en 1998 par rapport à la création annuelle de valeur dans l’industrie et les services (PIB)?

Il aura fallu près de vingt-cinq ans pour payer les dégâts sociaux de la «grande» crise des années 1991 à 1996. L’endettement public est aujourd’hui au même niveau qu’en 1990: 25% environ. Avec un PIB complètement cassé, il devrait bientôt remonter à 35%. La hauteur de 2007. Une régression de treize ans.

La Suisse est plus endettée que la Suède ou le Danemark. Elle figure même dans le tiers des Etats du monde dont la dette publique rapportée au PIB est la plus élevée. Tout cela semble cependant assez négligeable si l’on compare avec des pays comme le Japon (240% en ordre de grandeur), la Grèce (180%), l’Italie (140%), les Etats-Unis, la Belgique ou encore la France (115%). C’est dire si l’on peut parler de dettes perpétuelles. Leur remboursement intégral n’est plus envisageable depuis longtemps.

A l’échelle du monde, l’endettement public et privé vient d’ailleurs de dépasser les 250 000 milliards de dollars. Soit 32 000 francs par être humain. Il a fallu s’appuyer sur des théories économiques très sophistiquées pour en arriver là. Cette bulle colossale laisse encore présager de sérieuses crises en tous genres. Les Suisses préfèrent penser que les plus raisonnables d’aujourd’hui seront les moins impactés demain.

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