Interview du Dr Pierre Fournier

Spécialiste de l’obésité, le docteur Pierre Fournier, chirurgien bariatrique à l’Hôpital de Nyon, intervient également au Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne. Il pense déjà à l’après Covid-19, notamment au dépistage et à la prise en charge des pathologies viscérales restées en suspens depuis le 13 mars dernier. Il apporte également son éclairage sur la communication de cette crise sanitaire inédite.

Paris Match Suisse. En quoi l’obésité représente un facteur de risque?
Dr Pierre Fournier. La communauté scientifique a été surprise de constater que l’obésité n’apparaissait pas parmi les facteurs de risque dans les études chinoises. Nous avons vite compris que nos patients étaient en danger. L’obésité est une maladie pro-inflammatoire. Le Covid-19 provoque des réactions inflammatoires. Dans sa forme sévère, le virus déclenche une surchauffe du système immunitaire et agit comme un accélérateur de la réaction inflammatoire. C’est ce qu’on appelle l’orage cytokinique. Les cytokines sont des molécules naturellement produites par le système immunitaire dans l’organisme. En trop grande quantité, ces molécules entraînent un état hyper-inflammatoire. Les faits nous ont malheureusement donné raison, avec une surreprésentation d’hommes obèses souffrant de complications telles que diabète et hypertension. Pourquoi les hommes plus que les femmes, nous n’en savons rien.

Peut-on parler de victimes collatérales du Covid-19?
Soudainement les services d’urgences se sont vidés, malgré les messages répétés et incitatifs de la part des instances médicales et des pouvoirs publics. Dans le même temps, nous avons observé une aggravation des cas qui se présentent aux urgences. Nous avons tous été surpris. Avec le professeur Nicolas Demartines, chef de Service de la chirurgie viscérale du CHUV, nous avons décidé de collecter tous les cas de Suisse romande pour rapporter et expliquer dans une publication ce qui s’est passé durant la pandémie.

Par exemple, à l’Hôpital de Nyon, en moyenne dix à douze appendicites aiguës et six vésicules sont opérées par mois. Depuis le 13 mars, seulement trois appendicites sont arrivées et à un stade de péritonite grave. Concernant les infections de la vésicule biliaire, deux personnes ont été admises à l’hôpital, l’un était en choc septique engageant le pronostic vital et l’autre présentait un abcès dans le foie parce que la patiente est arrivée trop tard. Nous pensons que de nombreuses personnes qui se présenteraient aux urgences en temps normal sont chez elles et qu’elles souffrent.

Quelles sont vos inquiétudes quant aux répercussions de la crise du Covid-19 dont la prise en charge massive a freiné, voire stoppé, les consultations médicales?
Je crains un boom des pathologies graves. Nos collègues gastro-entérologues n’ont pas été en mesure de procéder au nombre d’examens habituels de dépistages des cancers et maladies chroniques. Un retard au démarrage avec un effet domino peut avoir des conséquences inquiétantes pour la suite. Je pense que l’oncologie sera en première ligne.
Hormis la santé des patients, mon inquiétude pourrait presque se résumer à une question d’agenda et d’organisation. Il faudra prioriser les patients, je ne peux pas réaliser dix opérations en une demi-journée…Lorsque les mesures du Conseil fédéral sont arrivées le vendredi 13 mars avec mise en application dès le lundi suivant, toutes les consultations et opérations non oncologiques ont été annulées. Dans mon cas, cela concerne presque une centaine de patients dont une trentaine de chirurgies repoussées.
La crise a provoqué un grand chambardement dans l’organisation. A l’Hôpital de Nyon, des blocs opératoires ont été aménagés en salles de soins intensifs pour accueillir les malades du Covid-19. A partir du 27 avril, nous disposerons de trois salles d’opération sur cinq à répartir entre toute l’équipe chirurgicale. Le service de chirurgie ambulatoire, transformé en salle de soins continus, devrait également rouvrir, permettant la reprise des examens endoscopiques. Les équipes soignantes qui sont restées en première ligne sont fatiguées.

Craignez-vous un rebond du virus?
Oui, c’est un risque réel et inquiétant. Le Conseil fédéral communique avec prudence pour laisser la porte ouverte à un retour en arrière en matière de confinement. L’organisation des hôpitaux pour faire face à la crise est mobile et reproductible en cas de nécessité.
En infectiologie, le modèle idéal consiste à connaître la maladie, savoir la dépister, disposer d’un traitement et d’un vaccin. En l’occurrence, nous connaissons mal le virus et la maladie qu’il provoque, nous n’avons pas de traitement, même si des pistes se profilent et il faut attendre au moins 18 mois pour élaborer un vaccin. Nous devons réussir à protéger le plus longtemps possible les personnes vulnérables jusqu’au moment où la vaccination sera possible. En Suisse, j’estime qu’un bon quart de la population est fragile tous critères de vulnérabilité confondus.

Est-ce que le déferlement de chiffres qui caractérise une partie de la communication depuis le début de la pandémie est une bonne stratégie?
Le public découvre les nombres de contamination, d’hospitalisation, de décès et de guérison en même temps que nous. Il faut interpréter ce déferlement comme un drapeau rouge qui a été efficace pour alerter la population sur la gravité de la situation. Cependant, en médecine, nous recevons des milliers de chiffres qui sont tous plus ou moins inquiétants. Pour les communiquer correctement, il faut les relier à un contexte et c’est le cas avec le Covid-19. Doit-on inquiéter une population dans son ensemble pour obtenir des résultats? La question est quasiment philosophique. Créer un climat d’angoisse permanent n’est pas bon pour la santé publique. Mais cette crise est également une occasion de rappeler que l’obésité, le diabète et l’hypertension sont des maladies mortelles. L’obésité concerne 10% des personnes en Suisse, soit 800 000 personnes. Peu de maladies représentent une personne sur dix. Aux Etats-Unis, 33% de la population sont concernés.

Que pensez-vous de la gestion médiatique de cette crise inédite?
Tout un chacun peut potentiellement attraper le virus que nous ne connaissions pas il y a quelques mois. Cette pandémie a plongé le grand public abreuvé d’informations dans le monde de la recherche médicale. La polémique autour du professeur Didier Raoult quant à l’efficacité d’un traitement avec de l’hydroxychloroquine traduit parfaitement ce qui se passe en coulisse en temps ordinaire dans cet univers. Et soudainement, tout le monde assiste à la recherche clinique en temps réel. Etudes empirique et comparative sont discutées sur la place publique. Quand nous avons le temps, l’étude par comparaison entre des groupes qui reçoivent à l’aveugle un traitement ou un placébo, est préférable. Mais, quand le temps presse, chaque médecin peut alors en conscience faire ses choix en fonction des connaissances scientifiques et parfois du bon sens… La plupart des médias ont apporté des informations en toute transparence. Certains, comme les chaînes d’infos en continu par exemple, cherchent les discordances pour créer des polémiques. De mon point de vue, cela augmente inutilement le niveau d’angoisse général.

Que retiendrez-vous de ces dernières semaines?
L’humilité face à la maladie est un socle en médecine. Cette pandémie nous le rappelle tous les jours. Je retiendrai l’extraordinaire solidarité aussi bien au sein de la population, notamment pour le soutien aux aînés que dans la communauté médicale et hospitalière où nous vivons un très grand moment de communion. Je pense aux équipes de ménage, service technique et logistique, administratif, le personnel à l’accueil. En tant que médecin, j’espère aussi que les gestes barrières, notamment l’hygiène des mains et la distanciation sociale, dont l’importance est rabâchée à juste titre, prendront place dans nos habitudes. Cela ne signifie pas la disparition définitive des bises, des poignées de main et des accolades.

Covid-19, parce que c’est le 19e coronavirus ou une date comme Chanel N° 19?
(Rires). Contrairement à ce qu’a affirmé une conseillère du président Donald Trump, il ne s’agit pas du 19e coronavirus. Le nombre 19 indique l’année de l’apparition de la maladie en 2019.

 

Le Dr. Pierre Fournier en bref

Pierre Fournier est médecin-chef du Service de chirurgie de l’Hôpital de Nyon (GHOL), médecin agréé du Service de chirurgie viscérale de Lausanne (CHUV), fondateur du Centre de l’obésité et du métabolisme de la Côte. Récemment élu au sein du cénacle prestigieux de l’Académie nationale de chirurgie à Paris, il en est, à 40 ans, le plus jeune membre. Il ne cesse de combattre la grossophobie ni de rappeler que l’obésité est une maladie aux multiples complications médicales, physiques et psychologiques, impactant fortement la qualité de vie.

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