À travers une relecture contemporaine, ils se confrontent aux chefs-d’œuvre de la danse classique et lancent treize jeunes danseurs sur scène. Ce sera la redécouverte d’un héritage prestigieux: «Cendrillon», «Roméo et Juliette», «Carmen», «Casse-Noisette», «La Belle au bois dormant». Ensuite, du 14 octobre au 4 décembre, au Théâtre de la Madeleine, Marie-Claude Pietragalla présentera leur nouvelle création «La Leçon» en alternance avec «La femme qui danse». Elle avait imaginé ce solo comme un véritable voyage intime, un témoignage de vie où la musique, les voix et le corps ne font plus qu’un.

Vous êtes début octobre à l’Octogone à Pully où vous présentez un spectacle «Mythologies».  Quelle relation avez-vous avec la Suisse?

J’ai une relation de plus de 25 ans avec le Théâtre de l’Octogone. Au départ, avec Jean-Pierre Althaus puis avec Yasmine Char. J’ai de délicieux souvenirs en Suisse. J’y venais très souvent du temps de Maurice Béjart.

Pourriez-vous y vivre?

Pourquoi pas? La Suisse est symbole pour moi de parenthèses enchantées. Des moments agréables, de belles rencontres. La vie professionnelle se mêle au plaisir.

Avec votre mari Julien Derouault vous vivez, créez et respirez ensemble… un cadeau de la vie ou quelquefois difficile à gérer?

C’est un cadeau de la vie! Nous avons choisi de vivre la création ensemble. Un mode de fonctionnement qui nous permet de rebondir sur l’autre. Le dialogue est naturel, équilibré et le fait de chorégraphier ensemble s’avère enrichissant et collaboratif.

L’amour partagé vous insuffle une énergie vitale, vous donne des ailes…

Nous partageons une histoire d’énergie, de symbiose, nous respirons à l’unisson. Notre vision de l’art chorégraphique et de la culture est la même. Chacun a bien sûr son jardin secret et notre sensibilité est confrontée au masculin-féminin. La différence est une force pour la création.

En dehors de la création, comment décrivez-vous cette relation qui semble fusionnelle…

Julien a un tempérament de feu donc on ne peut que s’assagir à son contact. Il peut être rassurant, fou d’énergie et poète à la fois. Ces qualités m’apaisent.

Que pourriez-vous regretter dans votre vie aujourd’hui?

Je ne sais pas s’il faut regretter des choses. Si des rencontres ne se sont pas faites, peut-être ne devaient-elles simplement pas se faire? Je suis très sensible à la relation humaine. Je me projette dans l’avenir, dans le futur proche. Le regret n’a pas sa place.

La plus dure épreuve que vous avez dû surmonter semble toujours liée au départ de votre papa.

Même si d’autres difficultés se sont greffées plus tard dans ma vie, celle-ci est la plus marquante. C’était en fin 2003, j’étais enceinte de ma fille, Lola, et je n’ai pas pu partager ce bonheur avec lui. Il était déjà en soins palliatifs. Ses souffrances n’étaient pas extrêmes, mais il était très compliqué de communiquer avec lui. J’ai mis aussi un point d’honneur à soutenir ma mère malgré ma propre souffrance. Elle était écroulée. Des mois après, j’ai fait une dépression. Le contrecoup. Il n’y a pas un seul jour où je ne pense pas à lui! Je suis toujours bouleversée.

Est-ce que cette souffrance a changé votre regard sur la vie?

Bien évidemment. Cela m’a ouvert l’esprit. Et la naissance de ma fille aussi. On s’ouvre aux autres en faisant son deuil. Et on aborde les choses plus profondément. Mon tempérament fort, passionné, survolté, a gagné en calme envers moi-même.

Parlons d’amour. Quand vous dansez, vous évoquez quelque chose de très animal, de très organique… Cela se rapproche-t-il de l’amour physique?

Oui, l’amour est un mélange de pure animalité avec une dimension assez mystique. Le corps danse entre le ciel et la terre et quelque chose nous dépasse. On se projette et notre corps d’enfant exulte. Et l’infinité dans le cosmos qui nous échappe. On lâche prise. C’est émouvant.

Votre mari a quelques années de moins que vous… Cela a-t-il été un frein à votre engagement, c’est généralement la femme que ça gêne?

Je ne me suis pas posé la question. Et je n’ai jamais pensé au regard que les autres pourraient poser sur notre couple. Je savais que le temps et l’amour me donneraient raison! Cela fait 23 ans que nous vivons notre amour.

Votre rencontre, un coup de foudre, une évidence?

Un coup de foudre! J’étais à l’époque à la tête du Ballet national de Marseille. Notre rencontre a donné naissance au Théâtre du Corps. Tout s’est fait naturellement. Julien est mon alter ego.

Vous êtes admirative de ces grands maîtres de la danse tels que Maurice Béjart, Roland Petit et les autres… lequel vous a vraiment inspiré ?

Beaucoup m’ont inspirée. Dans mon spectacle, je dis: «Il ne suffit pas de travailler avec les gens, il faut regarder qui ils sont et ce qu’ils vous lèguent». L’empreinte de l’Opéra de Paris est très forte et impactante. J’ai eu aussi des rencontres importantes avec des musiciens, des comédiens ou des couturiers comme Pierre din. Cela m’a ouvert le champ des possibles.

Sentez-vous encore dans la danse cette force qui vous dépasse?

C’est mon moteur. Je vibre lorsque je suis sur scène. Je suis chorégraphe mais aussi interprète et l’émotion que l’on transmet au public est immense. On touche un autre risque. Là, la mise à nu est totale. Il y a un moment sur scène où l’on reçoit un sentiment de plénitude.

Ce spectacle «Mythologies» vous permet, au-delà de la transmission, de partager votre passion avec ces jeunes danseurs, un accomplissement?

Ce cadeau en forme d’hymne à la vie nous permet de découvrir d’autres richesses à travers notre propre création et de multiples émotions jaillissent. On amène le danseur à sortir de sa zone de confort. Il devient danseur-acteur, il y adjoint le verbe et le geste. La littérature, le théâtre, la poésie, il y a quelque chose qui fait que c’est de l’ordre du sacré, on touche à l’humanité profonde. C’est émouvant de voir comment la jeune génération s’empare des grands thèmes mystiques. Le travail est long psychologiquement et leur vision de la modernité intéressante.

Vous étiez timide petite fille, dans quelles circonstances pourriez-vous retrouver cette timidité?

Ma timidité est permanente. Je me suis soignée durant des années. J’ai l’impression que ce que nous héritons de l’enfance, reste. J’ai toujours du mal à prendre la parole. Cette action est paralysante pour moi. Je me soigne à travers la danse et le corps. Et au fur et à mesure, la boucle se boucle. J’avais un professeur de danse, amoureux des arts, théâtre, musique, peinture. Il me faisait parler en dansant…

Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir?

Plein de choses. Et plus nos responsabilités sont lourdes, plus le sommeil devient léger. D’autant plus qu’il avait déjà changé à la naissance de ma fille. Aujourd’hui ma charge est celle d’un chef d’entreprise. Nous avons aussi créé un Centre de formation en alternance.

Comment vivez-vous les conflits ou les disputes?

Avant, je ne les gérais pas. Je gardais tout pour moi. Je me faisais du mal. Ça grossissait et un jour, un mois après, tout éclatait. Maintenant, je le verbalise tout de suite.

Quelle souffrance de votre enfance pourrait refaire surface sans crier gare?

J’ai eu une enfance très heureuse. Fille unique et aimée. Mes parents m’ont accompagnée dans l’aventure de la danse. Ils ont fait de gros efforts financiers. Je suis devenue professionnelle très jeune, j’ai beaucoup voyagé. J’aurais dû être davantage à l’écoute de mes parents. mais je vivais dans mon tourbillon. Heureusement, je pouvais les retrouver tous les étés en Corse et je reprenais avec bonheur corps avec mon insouciance. On la perd très vite en rentrant à l’Opéra de Paris!

Vous dites ne pas être croyante. Alors qu’elle serait cette chose que vous évoquez qui nous dépasse et nous a créés?

Je ne lui donnerais pas un nom. Cette chose est immensément grande dans l’infiniment petit et fait partie de l’univers. C’est une dimension mystique, les choses que l’on ressent, une force qui nous dépasse, qui nous entoure. Je crois au destin. Les choses sont écrites. Je suis plus apaisée aujourd’hui.

Quel serait votre luxe dans la vie?

Avoir le temps! Je cours, je cours, je ne vois plus les journées passer. Comme cela doit être bon d’avoir le temps de prendre le temps! C’est quand je rentre sur scène que le temps va s’arrêter. Je suis profondément dans ce que je fais et pleinement en phase.

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