lle a tourné avec les plus grands réalisateurs, de Sydney Pollack à Clint Eastwood. Au cinéma comme au théâtre, elle a joué avec les plus célèbres acteurs: Marlon Brando comme Isabelle Huppert. Mais Marthe Keller reste ouverte à toutes les expériences. Dernière en date, «Schwesterlein», film réalisé en duo par les Lausannoises Stéphanie Chuat et Véronique Reymond.

 

Paris Match Suisse. Vous tournez très peu avec les cinéastes suisses. Auraient-ils peur de faire appel à une vedette internationale comme vous?

 Marthe Keller. Vous savez pourquoi la Suisse s’est fait connaître par l’horlogerie? Parce que c’est tout petit (Rire)! J’entends souvent dire que les cinéastes suisses n’osent pas me solliciter. J’aime notre discrétion et notre pudeur. Mais quel risque y a-t-il à foncer? On n’est pas condamné à la guillotine si la réponse est négative…

 Vous êtes polyglotte. En combien de langues pouvez-vous jouer?

Au théâtre comme au cinéma, j’ai joué en allemand, français, anglais et italien. Sans connaître la langue, j’ai même fait des choses en arabe et en japonais. Je trouve que les jeunes comédiens devraient apprendre les langues. Cela multiplie les possibilités.

 Dans le cas de «Schwesterlein», vous avez tourné en allemand sous la direction de réalisatrices romandes. Un choc des cultures?

Deux réalisatrices, c’est un choc. Et une première pour moi! Je ne les connaissais pas, mais je connaissais la productrice, Ruth Waldburger, qui monte toujours des projets intéressants. Stéphanie Chuat et Véronique Reymond représentent exactement le contraire de ce que je vous ai dit de la Suisse. Elles n’ont pas peur. Ce sont des fonceuses! Je me disais: à laquelle dois-je m’adresser si j’ai une question? La réponse est venue toute seule: à la plus proche. Elles sont pareilles! C’est comme un corps avec deux têtes.

Mais pour en revenir au choc des cultures, je dois dire que, vivant depuis près de quarante ans à Verbier, je me sens plus romande qu’alémanique. J’ai un peu de mal avec la mentalité alémanique. «Il faut faire attention à ceci et à cela… On n’a pas le droit…» Ce n’est pas pour rien que je suis partie à 16 ans de Bâle… J’avais l’impression d’étouffer. Ce qui n’empêche qu’il y a des gens fantastiques aussi bien à Bâle qu’à Zurich ou à Berne.

 Verbier reste votre port d’attache?

 Verbier me remet tout en place. Je m’y sens à la maison. Cela me rappelle ma grand-mère qui me caressait la tête lorsque j’étais fatiguée. Evidemment, il y a eu beaucoup de changements au fil des ans. C’est devenu chic, mais pas snob. Contrairement à d’autres stations, on ne trouve ni boutique Bulgari ni boutique Chanel, mais plein de magasins de sport. En fait, j’adore la Suisse. J’aimerais tellement trouver un tout petit appartement à Lutry. Je suis folle du bord du lac.

 Vous qui travaillez tellement, pouvez-vous comprendre une Greta Garbo qui a arrêté de tourner à 36 ans?

 J’admire son courage. Quand on a des enfants, on peut décider un jour de se consacrer à sa famille. Mais Greta Garbo n’en a pas eu. C’était une grande solitaire. Ce que je suis aussi un peu, sans évidemment me comparer avec elle. Je trouve magnifique de quitter avant de se voir quittée… Moi, c’est ce que j’ai toujours fait en amour. J’aimerais être comme elle: me promener, écouter de la musique, lire. Mais je ne peux pas. Je n’arrêterai mon métier pour rien au monde. Je viens d’enchaîner quatre films. Je travaille non-stop. D’ailleurs, j’ai davantage de propositions aujourd’hui que lorsque j’avais 40 ou 50 ans.

 Beaucoup de comédiennes traversent un passage à vide à cet âge-là.

 Quand je suis rentrée de mon séjour américain lié notamment à sa relation avec Al Pacino, ndlr –, j’ai eu la chance de me voir offrir à Paris le rôle de Macha dans «Les Trois Sœurs» de Tchekhov. Tchekhov: mon Dieu! On a joué durant deux ans! Un de mes meilleurs souvenirs. Mais après, il y a eu un petit trou. Je ne supportais pas que le téléphone ne sonne pas. Alors, je n’ai pas attendu qu’on me sollicite. J’ai cherché moi-même. J’adore la musique. J’ai interprété des monodrames, commençant dans des hôtels pour finir à Carnegie Hall, à New York.

 A un moment donné, vous avez même réglé des mises en scène lyriques, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, y compris au prestigieux Metropolitan. Depuis lors, vous semblez avoir renoncé à l’opéra.

On me propose régulièrement des mises en scène. Mais je n’ai pas de génie. Les metteurs en scène lyriques peuvent monter deux ou trois opéras par an s’ils sont bien organisés. Moi, je dois travailler comme une folle durant un an. A quoi s’ajoute que ce que j’ai fait jusqu’ici tant à New York qu’à Washington ou à Los Angeles ayant plutôt bien marché, j’ai un peu peur de descendre… Bien sûr, «Pelléas» («Pelléas et Mélisande», de Debussy, ndlr) et «Onéguine» (de Tchaikovski, ndlr) me tentent encore. Ce sont des ouvrages auxquels une femme peut apporter quelque chose. Mais il y a tant de magnifiques metteurs en scène que, franchement, l’opéra n’a pas besoin de moi.

 Voyager autant que vous le faites, être rarement chez soi, n’est-ce pas déstabilisant?

 Je crois que j’ai besoin d’être déstabilisée. Mes parents n’étaient qu’amour. Grâce à eux, j’ai des racines profondes. Je viens donc d’un milieu très sécurisant. On m’expliquait chaque plante, on me parlait du Dr Kneipp (le pionnier de l’hydrothérapie et de la phytothérapie, ndlr) et de l’Ovomaltine… Mais ni de Nietzsche ni de Rilke! Comme je vous l’ai dit, à 16 ans, j’ai éprouvé la nécessité de m’émanciper. Et aujourd’hui encore j’aime me confronter à ce que je ne connais pas, à sortir de ma zone de confort. Les voyages sont fatigants, oui. Et faire sa valise peut faire peur. J’ai appris à voyager avec un sac. Cela change tout!

 Dans le film de David Roux, «L’Ordre des médecins», votre personnage dit: «J’ai eu la vie que j’ai rêvé d’avoir.» Reprendriez-vous cette phrase à votre compte?

 Absolument. J’ai beaucoup travaillé, j’ai sans doute un peu de talent, mais j’ai eu beaucoup de chance. Si je devais mourir aujourd’hui je pourrais dire que j’ai eu la vie que j’ai rêvé d’avoir. Mais je n’ai pas envie de mourir!

 

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