Un double anniversaire : les 30 ans du Festival de Verbier et les 70 de son fondateur Martin Engstroem. Un livre célèbre et l’un et l’autre.

Difficile d’imaginer le Festival de Verbier sans son fondateur, Martin Engstroem. Mais le désormais septuagénaire prépare l’avenir. Son épouse, l’altiste Blythe Teh, va assurer la co-direction artistique de la manifestation. Américaine de père chinois et de mère japonaise, elle est de la partie depuis la création de l’orchestre symphonique en 2000. « Nous partageons beaucoup de choses et avons une relation pleine d’amour depuis plus de vingt ans », confie Martin dans un passionnant livre d’entretien, « De Stockholm à Verbier – Une vie pour la musique ».

Avec Bertrand Dermoncourt pour interlocuteur, Martin Engstroem se livre à cœur ouvert. S’il évoque ses débuts précoces comme organisateur de concerts et agent d’artistes, il ne fait pas mystère des difficultés qu’il a rencontrées dans sa vie privée comme dans son activité professionnelle. Il a 14 ans lorsqu’à Stockholm il met sur pied un concert du pianiste Dag Achatz dans une salle de son école ! Deux ans plus tard, le grand chef Antal Dorati lui permet de faire un stage dans une agence musicale de Londres. À 24 ans, après des études d’histoire de l’art et une formation dans une autre agence londonienne, il organise son premier grand concert pour le baryton Dietrich Fischer-Diskau, un proche de la famille Engstroem. Bien que ne parlant pas encore français, il s’installe à Paris et devient partenaire d’une société de gestion d’artistes. C’est là qu’il fait la connaissance de Barbara Hendricks, sa première épouse.

Mais le métier n’est pas une sinécure. Il faut s’adapter aux tempéraments souvent difficiles des musiciens et des chanteurs. Martin Engstroem parle clair. A propos de la célèbre cantatrice Jessye Norman : « Jessye avait toujours une attitude grandiose qui vous faisait comprendre que vous étiez son serviteur. » Ou au sujet du violoniste Pinchas Zukermann : « Il avait une assez haute opinion de lui-même. » L’argent est souvent une pierre d’achoppement. Martin Engstroem peine à comprendre qu’un prestigieux baryton comme Renato Bruson refuse un « Othello » à Covent Garden sous la direction de Carlos Kleiber au motif que le cachet, pourtant élevé, n’est pas suffisant. Pour certains artistes, l’argent est un indicateur de l’amour qu’on leur porte. Lassé de ces exigences pécuniaires, il se jure alors que lorsqu’il mènera ses propres projets, il ne parlera pas d’argent. « Jamais. Que de sujets artistiques. » Se disant davantage « people manager » qu’homme de finance, il excelle à entretenir de bons contacts avec les artistes. Ce qui ne va pas toujours de soi. Dans ce livre toujours, il donne l’exemple de musiciens qui ne voulaient pas ne serait-ce que se croiser… comme les pianistes Radu Lupu et Evgeny Kissin !

Martin Engstroem remet sur le tapis le projet –que l’on croyait abandonné– de salle « en dur » d’une capacité de 700 à 750 places. « J’ai la chance d’être accompagné depuis cinq ans par Peter Brabeck (ex-président de Nestlé, aujourd’hui président de la fondation du festival, ndlr). Ensemble, nous pensons que c’est « now or never », aujourd’hui ou jamais, complète-t-il au téléphone. Le festival a permis de construire une saison d’été. Mais il faut aller plus loin et construire un centre culturel vivant, un espace de rencontre à l’année. Il est vrai que ce n’est pas une décision aisée. En Europe il n’y a pas de salle de cette nature à 1500 mètres. Est-ce que le public va monter pour écouter un concert ? C’est la question. Mais pour moi, une salle, c’est l’avenir. »

« Martin Engstroem – De Stockholm à Verbier – une vie pour la musique », entretiens avec Bertrand Dermoncourt, Actes Sud, 184 p., CHF 35.40

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