A la suite de son père Cléon, Lysandre Séraïdaris maintient vivant à Lausanne le souvenir des rois Ananda et Bhumibol.

 

Difficile à croire… En 1936, un étudiant lausannois se voit confier l’éducation de deux futurs rois de Thaïlande. Et leur reste à jamais attaché. Il y a certes des précédents: les Vaudois Frédéric-César de la Harpe, précepteur du tsar Alexandre 1er et Pierre Gilliard, celui des enfants de Nicolas II, à Saint-Pétersbourg. Mais c’est à Lausanne que Cléon Séraïdaris a veillé sur Ananda et Bhumibol, devenus respectivement Rama VIII et Rama IX.

 A priori, rien ne devait lier le doctorant en droit de 30 ans, d’origine grecque, et les deux frères thaïlandais, tout juste âgés de 11 et 9 ans. Cléon est né à Dresde, mais il passe toute son adolescence à Lausanne où il fréquente l’Ecole Nouvelle de Chailly. Ananda est né à Heidelberg, et Bhumibol près de Boston. Mais leur mère, la princesse Sangwan Mahidol, a décidé de leur offrir une éducation occidentale dans une ville dont elle a pu apprécier les agréments lors d’un précédent séjour. C’est un autre prince siamois, Rasmi Suriyong, alors étudiant en médecine, qui fait le lien. Il tient Cléon en haute estime. Or, ce dernier qui travaille sur sa thèse se cherche des occupations rétribuées. Marié à Magdalena, une Lausannoise d’origine bernoise, il a déjà un premier enfant.

 «Mon père est devenu l’homme de confiance de la famille royale parce qu’il était de toute confiance», relève Lysandre Séraïdaris, le fils cadet de Cléon, auteur d’un livre dans lequel il retrace très précisément cette étonnante saga.

«Les deux garçons avaient perdu très jeunes leur père. Avec leur mère et leur sœur, la princesse Galyani, les voilà à 15 000 kilomètres de Bangkok, un mois d’avril où il fait très froid… C’en est fini du palais aux multiples serviteurs, ils habitent d’abord 16, avenue Tissot, dans un appartement de huit pièces, puis 51, chemin de Chamblandes à Pully, dans une villa rebaptisée Vadhana.»

 Deux adresses que les Thaïs de passage à Lausanne ne manquent jamais d’aller photographier, de même que l’Ecole Nouvelle où les deux jeunes princes sont inscrits, sur le conseil de Cléon. «La princesse Mahidol avait une vision très précise de l’éducation qui devait être prodiguée à ses enfants afin qu’ils prennent entièrement conscience des devoirs inhérents à leur statut, et qu’ils soient prêts à assumer les hautes fonctions officielles auxquelles leur naissance les destinait, écrit Lysandre. Mon père partageait cette vision. C’est pourquoi il put conduire sa mission en parfaite osmose avec les souhaits exprimés par la princesse mère, et ce durant les vingt-six années de sa carrière auprès de la famille royale.»

 Dans son livre «Le roi Bhumibol et la famille royale de Thaïlande à Lausanne», Lysandre Séraïdaris illustre richement – 343 photos! – la vie de la princesse mère et de ses trois enfants. Le futur roi Ananda un arrosoir à la main dans le potager de l’école, les deux frères en séjour à Champex-Lac, toute la famille en vacances de ski avec Cléon à Arosa, Cléon qui enseigne l’ébénisterie à Ananda, Bhumibol qui travaille son piano… Des pages du livret scolaire de ce dernier y sont même reproduites. «Conduite: très bonne. Travail: très bien. Bhumibol est un très bon élève.»

 En Cléon Séraïdaris, les princes trouvent la figure masculine dont la mort précoce de leur père les avait privés. Mais un nouveau drame va survenir. Le 9 juin 1946, avant d’être couronné, Ananda est retrouvé sans vie au palais royal, assassiné. «Cléon qui s’occupait d’Ananda depuis dix ans ne s’en remettra jamais.» Bhumibol, 19 ans, monte à son tour sur le trône. Mais il lui faut terminer ses études à Lausanne. Il abandonne les sciences, son premier choix, pour le droit.

« Mon père resta son précepteur jusqu’en décembre 1951. Après quoi, il a été son conseiller particulier. Mais il a continué à veiller sur la princesse mère et sur la princesse Galyani qui sont demeurées à Lausanne. La princesse mère résidait 19, rue de l’Avant-Poste. Elle ne voyait pas de motif de vivre sur un grand pied. Quand elle éprouvait l’envie d’aller à la montagne, elle s’installait dans un hôtel familial à Sannenmöser et non dans un palace. Elle estimait que c’est en Thaïlande que l’argent était nécessaire. D’ailleurs, dans ses appartements privés du palais, le roi vivait de manière simple.» Des photographies le montrent recevant Lysandre en polo.

 Du vivant de Rama IX (décédé il y a trois ans), la famille Séraïdaris avait ses entrées à Bangkok. «Le roi m’a dit un jour: ‘Je n’oublierai jamais que votre père a sacrifié sa carrière pour moi.’ Nous avions facilement accès à lui. Ce qui, à la cour, ne plaisait pas à tout le monde…»

 C’est par fidélité à Bhumibol et à son propre père que Lysandre accueille des groupes de Thaïlandais venus en pèlerinage à Lausanne, et qu’il s’est investi dans le projet de pavillon thaï aux 100 000 feuilles d’or qui orne le parc du Denantou. «Le seul pavillon, en dehors de la Thaïlande évidemment, qui soit pourvue de la flèche royale, ce qui est extrêmement symbolique.» Ce cadeau du souverain à la ville de sa jeunesse ne fut pas compris à sa juste valeur dans certains milieux lausannois. Ce qui engendra un froid diplomatique! Mais Daniel Brélaz, devenu syndic, comprit qu’il pouvait compter sur les bons offices de Lysandre. L’entregent de ce dernier et l’estime dans laquelle le roi le tenait vinrent à bout des difficultés. Et le 17 mars 2009, la princesse Maha Chakri Sirindhorn put présider à l’inauguration de ce qui est aujourd’hui le joyau du parc et une attraction touristique.

 

«Le roi Bhumibol et la famille royale de Thaïlande à Lausanne», de Lysandre C. Séraïdaris, éd. Slatkine, 438 pages, CHF 49.-

 

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