Roger Federer serait-il la preuve de l’existence de Dieu? Pour Raphaël Enthoven, c’est plutôt Dieu qui est la preuve de l’existence de Federer. Federer mythe contemporain!

La liste des livres consacrés au plus célèbre des sportifs suisses était déjà fournie: essais, biographies, témoignages de fans, romans et même pièces de théâtre. S’y ajoute maintenant un nouvel opus amoureux, écrit à quatre mains et ambitionnant de montrer comment Roger Federer est parvenu à «incarner la figure du héros moderne renouant avec les codes du mythe, de l’universalité à l’intemporalité en passant par la beauté ou le sacré». Rien que ça! Les auteurs sont pourtant loin d’être de béats admirateurs. Tous deux enseignent à Science Po Paris, Charles Haroche la réthorique, Frédéric Vallois la communication. Se demander ce que leur ouvrage peut apporter de neuf est légitime. Le «Dictionnaire amoureux du tennis» de Binet et Benneteau (Plon, 2020) n’affirme-t-il pas que, sur Federer, «tout a été dit et il n’y a rien à ajouter».

Eh! bien, Haroche et Vallois en ajoutent! Ce qui ne va effectivement pas de soi lorsque l’on songe que Federer a déjà fait fantasmer Philippe Roi («Comment j’ai couché avec Roger Federer», Lucquin, 2012) et le metteur en scène Denis Maillefer («In Love with Federer», 2013). Quant au professeur de philosophie André Scala («Silences de Federer», la «Différence», 2011), il qualifiait le jeu du tennisman d’«échappée cosmique». Ce qui n’est rien en comparaison du philosophe David Brunat qui en parle comme du «surhomme nietzschéen, l’incarnation du Beau platonicien et même l’instanciation vivante de l’éternité spinoziste». («Le Figaro», 2018). N’en jetons plus!

Se référant à l’historien Joseph Campbell, Haroche et Vallois envisagent le «héros» Federer selon trois étapes. Première étape, la séparation avec le monde ordinaire (Zeus demande à Prométhée de créer la vie sur la terre). À savoir le départ de Bâle, sa ville natale, pour Écublens où il intègre le Centre national suisse de tennis (1995). Deuxième étape, l’initiation et la confrontation à des forces supérieures (Prométhée dérobe le feu aux dieux). «Roger» perd son premier match au tournoi ATP de Gstaad, mais remporte peu après le tournoi de Wimbledon junior (1998). Dernière étape, le retour vivificateur (Prométhée rapporte le feu aux hommes). À partir de 2004, Federer règne sur le tennis mondial. Et sur ses innombrables supporters, de la violoniste Anne-Sophie Muter qui se dit «amoureuse» de lui, à l’écrivain John le Carré qui l’assimile à Dieu («God does not sweat» / Dieu ne transpire pas) ou à cet autre écrivain, David Foster Wallace qui, dans le «New York Times», écrit que voir jouer Federer constitue «une expérience religieuse».

Indubitablement, le «maestro», comme on le surnomme, est promu héros contemporain. Héros sans défaut: il est beau, gentil, sympathique, époux réputé fidèle, père de quatre enfants et fortuné. Pour certains détracteurs (il s’en trouve, mais ils sont rares), Federer est trop lisse. Attention! rétorque Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, c’est «le feu sous la glace». N’a-t-il pas fondu en larmes lors d’une interview sur CNN alors que l’on évoquait son ancien mentor Peter Carter, mort dans un accident de voiture?

Au terme de leur essai, Haroche et Vallois anticipent le jour où Federer prendra sa retraite. «Elle plongera des millions de supporters dans la détresse». Consolation: les héros peuvent disparaître, mais ils ne meurent jamais.

Charles Haroche et Frédéric Vallois, «Federer – un mythe contemporain», éd. Solar, 204 p., CHF 24.30 ; ebook CHF 14.-.

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