Dans «Une vie» de Guy de Maupassant, Clémentine Célarié, seule sur scène, est époustouflante de beauté et de talent. Poignante et magnifique. Un grand moment de théâtre.

La rencontre de Clémentine Célarié au Théâtre de Beausobre, lors de la représentation d’«Une vie» de Maupassant, est une fulgurance, un enchantement. Rebelle et infiniment tendre, elle se livre à l’objectif de notre photographe, saluant au passage une dame de ménage à qui elle demande son prénom. Tout en Clémentine est touchant, fort et doux à la fois. Son livre «Les mots défendus» est comme elle un feu d’artifice d’émotions. Elle parle de son épreuve, son cancer, mais surtout de ce qu’il a provoqué et fait naître en elle. Les mots sont forts, puissants, ils nous prennent aux tripes. Clémentine se livre. Elle fait crier ses excessivités, rit souvent d’elle-même et nous emporte inéluctablement dans les profondeurs de son être. Un moment exaltant.

 

Clémentine, avez-vous un lien particulier avec la Suisse?

Oui, j’ai un lien par mes ancêtres du côté de ma mère avec Breguet. Louis Breguet dans l’aviation, et Abraham-Louis dans les montres, mais je ne m’en suis jamais vantée. Je tourne aussi beaucoup en Suisse, que ce soit à Morges au Théâtre de Beausobre, à Genève, à Mézières…

Aimeriez-vous y vivre?

Je n’y ai jamais pensé. Je suis un peu nomade. J’ai beaucoup déménagé souvent pour des raisons familiales mais je suis restée près du père de mes enfants que j’avais quitté.

Le théâtre. Vous ne pensez, ne respirez, ne vivez que pour cela…

En ce moment, je passe ma vie sur la route et dans les hôtels. Je suis en tournée avec la pièce «Une vie» de Guy de Maupassant. Et je vis à travers cela. C’est comme respirer nos troubles, nos tristesses à travers un personnage.

Cette pièce «Une vie» feriez-vous un lien avec votre propre vie?

Au théâtre, Jeanne, l’héroïne pleure. Je lui prête mes sanglots. Je m’ouvre les tripes devant trois cents personnes. Je donne tout à Titan, mon public. En lien avec la mythologie grecque et Il y a toujours un parallèle.

 

Peut-on parler de l’épreuve que vous avez traversée?

Ce qui ne tue pas rend plus fort. Je suis une guerrière et je suis guérie de ce cancer! Je le clame haut et fort. Quand je croise quelqu’un dans la rue qui me demande: «Comment allez-vous?» d’un air apitoyé, je réponds du tac au tac: «Et vous?» J’ai dit que j’étais guérie. Il faut respecter ma parole et changer son regard sur cette maladie. Je prépare un film, un long-métrage, une adaptation de ma traversée. Un cancer est un révélateur qui vous ramène à l’essentiel. Mon imaginaire est très riche, je me suis projetée! Je n’ai pas pris le cancer au sérieux.

Au point de ne cesser de vous projeter sur scène…

J’étais vautrée dans mon lit. Mon lit était devenu ma maison. Et je faisais des mémos, écrits ou vocaux. Je n’avais pas la force de taper sur mon ordinateur. Je me projetais ailleurs, sur scène, devant mon public, Titan. Et je revoyais tous mes excès refrénés. Amoureuse trop souvent? Trop de bazar dans mon antre? Toujours trop. L’âge aussi est tabou. J’ai jeté tous les tabous pour ne garder que l’énergie qu’on gagnait au fil du temps.

Dans votre vidéo, vous avez déclaré: «Si ce n’est la naissance de mes enfants, je n’ai jamais été aussi heureuse?»

Les épreuves sont comme des petits tours de magie qui nous transforment et nous font grandir. On doit se dépasser. Après tout devient magique, comme humer l’air ou respirer la nature.

Dites-nous ce que la maladie a changé dans votre être profond.

Je veux continuer à éduquer les gens face à la maladie. Le cancer ce n’est pas pour toute une vie, avec le droit de se projeter dans la guérison. Tous les jours où je joue «Une vie» de Guy de Maupassant, je mets un coup de pied à la moindre poussière qui pourrait me rappeler ce cancer. Je l’ai tué, je célèbre «Une vie». Je jouis tous les soirs d’être sur scène.

À partir de quand la vie a repris tous ses droits?

En novembre 2019, j’ai tout de suite été opérée lorsque le diagnostic est tombé, puis on a enchaîné avec les chimiothérapies. J’ai fait une embolie pulmonaire à cause du cathéter et on a dû me prescrire des anticoagulants. Un an après, en 2020, j’ai tourné, sans ma perruque, le rôle d’une femme en fin de vie. J’ai pu reprendre les tournées d’«Une vie» en septembre 2021. Plus d’un an et demi après. La renaissance est symbolisée par la repousse des cheveux. Il ne faut pas penser à l’immensité de la montagne à escalader. Il faut la gravir doucement. J’ai pris la chimio comme un élixir. C’est la vie, qui comme une plante, pousse et jaillit depuis le béton.

Ce marathon demande énormément d’énergie, une énergie vitale, la vôtre…

C’est une drogue, c’est magique. Ma renaissance est palpable. Sur scène, en interprétant les vies de Jeanne, je suis obligée de me dépasser. Depuis ma maladie, je suis dans la réjouissance et l’essentiel de l’existence. Tout me réjouit, se lever le matin, respirer. J’aime cette phrase de Maupassant: «L’épaisseur de ma joie comme un feuillage abritait mon cœur de la tristesse.»

Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours ou cette traversée «solitaire» a modifié les choses?

C’était la nuit tout le temps durant mon traitement. Le lit était devenu ma résidence principale. La créativité m’a sauvée. Et je devais écrire mon bouquin. Même si tout le monde me le déconseillait, sauf Jérôme, mon ami, mon ange gardien. La nuit était toujours contemplative. Mais je devais avancer, avoir un projet sur le feu. Je pensais au public. J’écrivais, j’enregistrais mes émotions, mes pensées, mes ressentis, mes chemins initiatiques… Je me suis adressée à ceux qui m’ont énormément aidée. Et à mon public, Titan!

Avez-vous eu peur à certains moments durant le traitement de ne pas vous en sortir?

Bien sûr, j’allais m’en sortir. C’était pour moi une évidence! Il faut tuer cette saloperie! Je devais retourner sur les planches, revoir mes enfants, mes parents. Douter ne sert à rien. Ce n’est pas bon pour la guérison. C’est une grande épreuve mais il faut défoncer cette maladie, lui casser la gueule. Il est vrai qu’à certains moments, on peut imaginer être finie, que personne n’a besoin de vous. C’est un moment de solitude de la mort mais l’instinct de survie domine. Et je suis combative.

Pensez-vous que le cancer a une raison d’arriver?

Personnellement, je ressens que chacun fait son cancer pour ses propres raisons. Le ventre est le deuxième cerveau et j’ai fait un cancer du côlon. Je travaille du ciboulot, mon esprit est constamment en éveil et en recherche. Il est vrai que, depuis cette maladie, je ne veux plus qu’on m’emmerde. Cette période Covid et l’insistance médiatique nous plongent dans la morosité. C’est atroce, horrible, très grave! On entretient le drame. Et j’aimerais qu’on nous donne de bonnes nouvelles. Il faut soutenir le bon et apprendre à se réjouir!

Votre livre «Les mots défendus» c’était important pour vous…

Essentiel. Je voulais aussi que l’on accepte la guérison. Je suis guérie! Je veux parler, vive la guérison et la parole libre. La maladie c’est aussi aller plus loin dans le dépassement de soi.

Et si on parlait d’amour…

Comment vivre une histoire d’amour alors que je vis entre une voiture et le théâtre! Mais j’ai dans mon cœur des hommes auxquels je pense.

Avez-vous peur des années qui passent, de vieillir?

Je ne vieillis pas, je grandis! Le terme vieillir est péjoratif, négatif; j’avance, je prends de l’âge. Cela ne m’empêche pas de respecter une certaine rigueur alimentaire et de faire du sport. Mon rôle «Une Vie» implique cela. Je fais attention à moi et je m’offre des petits gommages magiques chez mon esthéticienne.

Quel est votre rapport à la nourriture, du bout des lèvres ou avec excès?

Je suis une gourmande frustrée. Je bois beaucoup d’eau et je mange léger. Tous les soirs, je dois rentrer dans le corset de mon personnage, Jeanne!

Un plat qui vous fait craquer?

J’avoue que les profiteroles au chocolat et un burger ont tout pour me séduire. J’aime aussi le hachis Parmentier. Il me rappelle celui de ma maman. Je craque aussi pour les plats thaïlandais au curry rouge, les plats africains, indiens, japonais. Je suis attirée par l’exotisme.

Et le vin que vous préférez?

Un Crozes-Hermitage, j’adore! Bien frais, à la sortie de scène, c’est plaisant et réconfortant.

Êtes-vous croyante?

J’ai la foi! Une foi indestructible en la vie, l’humanité, la beauté. Le sacré de l’Église me donne une grande force. Je crois en tous les rituels religieux que ce soit dans les synagogues, les mosquées… les églises pour les catholiques, ou les chapelles pour les protestants. Je prône l’amour profond, c’est ma religion. Aimer et être ouvert à l’autre. J’ai la foi en la liberté de parole, car l’amour engendre la liberté. L’amour est la plus belle des religions. Faire attention à l’autre.

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