Photo: Anoush Abrar

Comédienne, écrivaine, passionnée par le théâtre, Irène Jacob a fait des débuts remarqués!  Elle a incarné en 1991 l’héroïne de «La double vie de Véronique» de Krzysztof Kieslowski et obtient le prix d’interprétation féminine à Cannes. Elle construit, ensuite, pas à pas, une carrière internationale. Riche et diversifiée.

C’est sous la direction de Michelangelo Antonioni et Wim Wenders dans «Par-delà les nuages» en 1995 qu’elle rencontre l’acteur Vincent Perez. Irène lui voue une grande estime:  «C’est un artiste généreux, rare, talentueux et je suis fière de le soutenir à travers Les Rencontres du 7e art à Lausanne. Le cinéma a besoin de rayonner et grâce à ces Rencontres un dialogue privilégié est établi entre les artistes et le public.» Lors de notre rencontre, dans le cadre de La Prairie à Clarens, Irène Jacob prend le temps de se confier pour Paris Match, avec en bruit de fond le chant des oiseaux.

Paris Match Suisse. Réussir dans la vie, ce n’est pas réussir sa vie et justement votre vie qu’en pensez-vous?

Irène Jacob. Réussir sa vie, c’est aimer! Aimer quelqu’un, quelque chose… Aimer. C’est le sens dans la vie.

Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours?

L’été, je vis souvent la nuit. Après la chaleur, la nuit arrive comme une récompense, elle est courte, libre, odorante, étoilée. Plus belles que mes jours? Quelquefois. Souvent mémorables. Il y a les rêves, il y a le temps, le désir et les peurs. La nuit, la spontanéité prend le dessus et les rencontres sont plus faciles… Un temps suspendu.

Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir?

Les veilles de mes tournages ou d’une première au théâtre, je ne dors pas. Je transpire, je mue! Et puis, les mots et les émotions tournent dans ma tête, les pensées, les rêves portés par la nuit. Les obsessions aussi ou l’inquiétude parfois me prennent. La nuit a quelque chose d’animal, les rêves, les cauchemars, les peurs de l’enfance… Quand vient le jour, on est chargé des émotions de la nuit. Je peux aussi ne pas dormir si je suis inquiète pour une personne que j’aime, ou que j’attends, ou que je vis un chagrin d’amour ou une grande excitation.

Avez-vous des remords ou des regrets?

Je peux m’en vouloir très fort d’avoir dit quelque chose que je n’aurai pas dû. Je cherche comment réparer.

En cas de disputes ou de conflits, comment les vivez-vous?

Très mal! J’absorbe tout comme une éponge. Les conflits m’arrêtent dans mon élan, me paralysent. J’essaie de prendre du recul et je fais l’impossible pour l’apaiser.

Quelle force avez-vous tirée de votre enfance?

Il y a la force faible et la force forte. Incroyables sont les choses que comprend l’enfant! Même si rien n’est dit. La force émane de ce qui est transmis par un parent ou un ami mais souvent à son insu. J’ai reçu de l’enfance l’envie d’aller vers la lumière et d’exprimer des émotions. L’envie de vivre des histoires, de toucher avec des mots, de trouver la lumière dans des endroits cachés.

Une quête encore plus vibrante aujourd’hui…

Je cherche toujours la vie et la force insufflées par mes textes. Au fil du temps, leurs mots m’accompagnent, sont mes amis, un ADN. J’aime aussi la puissance de l’émotion que je reçois de la musique.

Votre plus belle rencontre, celle qui a influencé votre vie ou votre carrière…

Krzysztof Kieslowski est une rencontre artistique qui m’a bouleversée. Ce cinéaste polonais que j’ai rencontré en 1991 m’a tellement touchée dans sa façon de sentir les choses, de regarder les gens. La profondeur de son regard vous faisait vous sentir très présent. Il observait le mystère dans l’autre, et dans les choses de la vie quotidienne. J’ai gardé de lui ce goût du mystère simple, celui de la vie et des êtres même de ceux qu’on connaît le mieux.

Vous sentez-vous une femme accomplie en harmonie avec votre être profond?

Il m’arrive souvent d’être en dispute ou en conflit avec moi-même. Mais n’est-ce pas ce qu’on appelle la force du désaccord? J’essaie de le vivre pas trop mal. Mais c’est dur et long parfois, je suis déboussolée; c’est une réorientation, mes anciens repères ne sont plus valables. Et puis l’accord revient: il y a vraiment des phases et des cycles dans la vie. 

Comment vivez-vous cette période particulière?

Douloureusement. Tant de projets ont été annulés. Heureusement, on peut répéter. Aujourd’hui, les créations attendent de voir le jour. Et l’espoir des artistes est plus présent encore.

Comment vivez-vous un chagrin? Vous vous enfermez dans votre coquille ou vous avez besoin de tous les êtres aimés autour de vous pour surmonter votre chagrin?

J’ai besoin des deux. M’enfermer et sortir aussi pour retrouver l’adrénaline et l’énergie des autres.

Parlez-nous d’amour.

J’ai rencontré Jérôme, qui est comédien aussi, il y a vingt ans. C’était très fort. Pour que l’amour dure, j’ai besoin de m’éloigner, de le chercher… pour le retrouver, le redécouvrir. Aimer le mystère de l’autre, être surpris. Ne pas se laisser prendre par les habitudes. L’amour demande beaucoup d’imagination. Il faut traduire, deviner, oser, déjouer, inventer une autre grammaire, ne pas s’arrêter aux mots (on peut prononcer entre êtres aimés un non qui veut dire oui).

La fidélité, c’est important?
Je suis d’une nature fidèle, en amour, en amitié, en famille. Mais je pars souvent seule, de par mon métier, et j’aime ça aussi. L’aventure et la liberté du voyage me nourrissent.  Quand nos enfants étaient plus jeunes, ils venaient avec Jérôme et moi en tournage ou nous les gardions en alternance. Aujourd’hui, ils ont 16 et 19 ans. Nous sommes très proches et partageons beaucoup, ils sont plus autonomes.

 Qu’attendez-vous de votre existence aujourd’hui?

J’aimerais qu’un projet qui me plaise beaucoup vienne frapper à ma porte. J’ai 50 ans et un élan étonnant prêt à s’exprimer. J’ai hâte que les lieux de culture revivent à nouveau. Les émotions collectives sont nécessaires. Avec cette pandémie, on s’est retrouvés isolés et «à l’envers» avec une fracture sociale et économique à venir. A mon humble niveau, j’aimerais, dans les rôles que je fais, toujours participer à ce que les gens reçoivent – après cette épreuve des choses fortes et plus vivantes que jamais!

Acceptez-vous de vieillir?

Ça dépend ce que ça veut dire vieillir. Si on vous dit: «A 80 ans, vous allez faire une rencontre extraordinaire et vivre une aventure magnifique» n’avez-vous pas hâte de «vieillir»?

Quelles sont les qualités dont vous pouvez vous féliciter?

J’aime bien mon optimisme par nécessité! Et mon empathie aussi. Je peux ressentir de l’empathie pour des gens que je ne connais pas.

Et vos défauts… ceux qui vraiment vous dérangent vraiment?

Bizarrement le défaut est souvent accompagné du contraire. Je dirais pour ma part que je suis confuse quant à la façon d’exprimer mes pensées et en même temps, comment être rationnelle quand on cherche tous les chemins qui conduisent aux émotions?

Etre femme, une force?

Oui, c’est la mienne! J’ai été élevée avec trois frères. Enfant, je jouais les garçonnes mais je ne m’imaginais pas être un garçon. Mon père m’appelait «toute», mon jeune frère «reine», mes grands frères «l’idiote». Etre femme, c’était être différente. Ma mère a été pour moi, une source d’inspiration: à 50 ans, elle a déclaré: «Enfin, je prends ma vie en main.»l Elle est devenue psychothérapeute. A sa maturité, elle est devenue la femme qu’elle voulait être et m’a encouragée sur mon chemin.

Etes-vous croyante?

Oui. C’est une ressource. Brecht disait: «Qu’il serait doux, le son des cloches, s’il n’y avait parmi les hommes tant de mal.» Croire, pour moi, c’est le mystère de la vie et l’amour.

A quel moment avez-vous prié?

Ce matin, hier… Je prie souvent. Je ne suis pas une assidue pratiquante, mais je prie en prenant le soleil, en marchant. Je dis quelques mots, je pose une question, je pense à quelqu’un, je demande de la lumière, de la paix, du discernement.

L’argent. Avez-vous une relation saine. 

Oui, je pense car je ne suis ni cupide ni avare. Et je n’ai aucune estime pour les gens qui profitent du système. Je n’ai pas l’intelligence du business et tant mieux, je n’ai aucun attrait pour cela. Mais j’ai la chance et le privilège de ne pas avoir à compter. Pour trop de gens, le manque d’argent est une tension de chaque jour, terriblement usante.

Vos goûts de luxe?

Mes goûts de luxe sont les oiseaux, la lumière qui traverse une chambre, voir les gens que j’aime… Et nager, bien manger et les bons vins. Et au festival, j’ai fait un shooting photo habillée en Chanel, un luxe et une élégance. Comme par miracle. (Rires).

Un dicton, une devise que vous feriez vôtre?

Mon dicton du jour serait: «Aide-toi et le ciel t’aidera.»

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