Nous l’avions rencontrée, il y a quelques années, dans son hôtel particulier, près du Palais de l’Élysée, puis au château de Pregny, à Genève. Elle vit aujourd’hui dans une maison qui lui ressemble. Belle, sereine et épanouie.

La baronne Nadine de Rothschild vient d’avoir 90 ans et des projets plein la tête. Elle imagine une sorte de fontaine de Trévi, près du jet d’eau où tous les amoureux du monde ne cessent de se prendre en photo. Et si la ville des banques devenait celle de l’amour? Lors de notre rencontre, Nadine se réjouissait de présider le Bal des débutantes. «Ce bal est international», s’enthousiasme-t-elle. Il y a des jeunes filles du monde entier. Il est organisé au bénéfice des victimes ukrainiennes de la guerre. Paris Match, elle dit l’aimer depuis toujours! Et fait le lien avec Vincent Bolloré, qui avait pris avec son mari le contrôle de la Compagnie financière Edmond de Rothschild en 1975. Il devenait directeur adjoint à 23 ans. Selon la baronne, son mari, lui aurait prêté un milliard. Remboursé, s’empresse-t-elle d’ajouter.

Être dans les projets à 90 ans, c’est fantastique.

Il y a dix ans que je soutiens les hôpitaux universitaires genevois. Cela me tient à cœur. Aujourd’hui, j’aimerais qu’un sculpteur de talent crée sous le jet d’eau une vasque qui ressemblerait à la fontaine de Rome. Les amoureux y jetteraient, à l’envers, une pièce de la main droite et feraient le vœu d’y revenir chaque année ensemble, aussi longtemps que leur amour durerait. À Rome, la ville récolte de petites fortunes. J’ai l’intention de financer la totalité du projet. Il faut que je le réalise avant mes 100 ans! Mais comment convaincre les autorités?

Quelle est votre plus grande satisfaction ou plus grand bonheur aujourd’hui?

Admirer les arbres, jouir des saisons même si elles s’écoulent avec la rapidité de l’éclair.

Auriez-vous un autre vœu à réaliser?

Prendre l’avion demain matin et déguster un petit-déjeuner au Waldorf-Astoria de New York. Vœu difficile à réaliser ou pourquoi pas louer un chalet à Megève, sur la place du village.

Nadine, êtes-vous croyante?

Cela dépend des jours. Ce n’est pas ma préoccupation principale.

Parlez-nous de l’acte de votre vie dont vous êtes le plus fière?

La naissance de mon fils!

Il est lié aussi à une très grande épreuve…

Mon fils m’a ouvert les portes du Paradis. Il sera là. Mais je suis quelqu’un qui montre peu ses émotions. Les gens ont leurs problèmes. Je ne vais pas déverser à leurs pieds ma propre poubelle. Mon deuil m’appartient.

Vous semblez sereine, cependant.

Mon fils a eu la vie qu’il a choisie. Était-ce vraiment celle qu’il aurait aimée? Il était attiré par l’art et avait de grands talents sportifs. Il aurait pu être coureur automobile. Il aimait passionnément la liberté et l’être humain. Rétrospectivement, je me dis que j’aurais dû être une mère plus présente.

Avez-vous le sentiment que cela a eu des conséquences?

Je ne lui ai rien imposé! Peut-être aurais-je dû? Et lui refuser aussi certaines choses? La vie de baronne de Rothschild impliquait que j’accompagne mon mari aux quatre coins du monde. Je devais être présente pour l’équilibre des affaires. Un peu comme la femme du boulanger. C’était mon choix et j’ai assumé. L’homme sort de la main de sa mère et attend de son mariage que cela continue. Le mari a besoin de tendresse, d’être écouté. Je pense, cependant, que les femmes au foyer devraient recevoir un vrai salaire!

On parle de tensions entre votre belle-fille et vous, que répondez-vous à cela?

Vous pouvez retirer la question…

Qu’est-ce qui pourrait vous révolter dans la vie au quotidien?

La méchanceté chez les gens qui ont tout!

Votre plus belle rencontre, celle qui a influencé votre vie, le baron Edmond?

Bien évidemment. Une belle histoire d’amour et de complicité. Je ne pouvais pas me plaindre. La mariée n’est jamais trop belle! Il m’arrivait d’assister à six cocktails le même soir. Nous rencontrions des gens importants à New York, à Los Angeles, en Inde… et aussi les gens qui travaillaient pour la banque. J’ai dû gérer 14 maisons. Maîtresse de maison est un rôle que j’assume fort bien. J’ai également géré avec plaisir l’Hôtel du Mont d’Arbois, à Megève.

Du côté de votre mari, la fidélité n’était pas le point fort.

Mon mari était libre, majeur et vacciné. C’était un grand seigneur.

Vous m’aviez confié que vous étiez ensemble, votre mari et vous, lorsque sa fille est née à New York. Complices toujours malgré les circonstances?

J’étais la femme de sa vie. D’abord une maîtresse, une épouse, une confidente. Après quoi, on doit choisir, se fait-on alliée ou ennemie? La femme n’est pas propriétaire de l’homme qu’elle épouse. Et pour ma part, j’étais très indépendante. Mon mari ne me posait pas de question. Si j’avais un petit conseil à donner aux jeunes filles d’aujourd’hui, ce serait celui-ci: «Il faut bien vivre avant de dire oui, l’homme avec qui vous ferez votre vie ne changera jamais.»

Aujourd’hui, êtes-vous une femme accomplie, en harmonie avec votre être profond?

J’ai la faculté d’éloigner ce qui me dérange, que ce soit d’hier ou d’aujourd’hui. C’est demain qui m’intéresse. Mon certificat d’études en poche, j’avais quitté la maison familiale à 14 ans. J’ai travaillé en usine, à la chaîne chez Peugeot. Je ne m’entendais pas avec mon beau-père. À 16 ans, j’avais déjà tout compris. 

Vous avez reçu à votre table des présidents de la République, des hommes politiques, de grands patrons, quels souvenirs brûlants en gardez-vous?

Il est vrai que j’ai rencontré la plupart des hommes d’État, de Kennedy à Pompidou, Giscard d’Estaing, Chirac… Sauf Mitterrand. À Paris, nous habitions, rue de l’Élysée. Mais je suis installée à Genève depuis 58 ans et la famille de mon mari depuis 1883.

Une petite anecdote à nous raconter liée à ces rencontres…

C’est à propos de Valéry Giscard d’Estaing. Nous l’invitions tous les ans, dans notre maison de Seine-et-Marne, pour un week-end de chasse. Il était à ma droite à table et me posait systématiquement la même question: «De quelle nationalité est votre personnel, français ou suisse?» Au bout de la troisième ou quatrième fois, je lui ai rétorqué: «Ou je m’explique mal, Monsieur le Ministre ou vous êtes sourd!»

Petit rétroviseur sur votre vie, des regrets, des remords?

J’ai choisi ma vie. Lorsque je suis devenue veuve, il y a 24 ans, j’ai eu une proposition de mariage de David Rockefeller. Il me disait pour me convaincre: «Nous sommes invités aux mêmes tables, nous avons les mêmes amis…» «Oui, mais pas les mêmes maladies», lui ai-je rétorqué. Il est vrai que je n’aurais pas eu à changer les initiales sur mes valises: Rothschild ou Rockfeller (sourire). Il est mort à 103 ans, pas mal!

Vous habitez aujourd’hui cette ravissante maison près des vignes, dans une campagne joyeuse. Racontez-nous son histoire.

Je me promenais dans la vieille ville de Genève avant de rentrer à Pregny quand le hasard m’attira devant une agence immobilière. La photo de cette maison trônait en vitrine. J’entre, la dame me dit: «On ferme à 18 heures.» «Alors donnez-moi simplement l’adresse de ce bien, j’irai voir sur place.» Je sonne à l’entrée de la fameuse maison, la propriétaire me reconnaît: «Nous avons dîné ensemble la semaine dernière. Je pars en Argentine et je loue ma maison.» «Et si je vous propose de l’acheter, vous me la vendez?» L’affaire s’est faite en cinq minutes. J’ai aussi acquis un appartement sur le quai Gustave-Ador. Au départ, je voulais modestement un studio. Mais quand le courtier m’a présenté un appartement de 400 m2, j’ai eu un coup de cœur et j’ai signé tout de suite.

Vous avez le sens de la répartie et vous ne vous êtes jamais laissé démonter… À quoi devez-vous cela?

Peut-être à mon père que je n’ai pas connu!

L’écriture a occupé une belle place dans votre vie. Songez-vous à un nouveau livre?

Oui. J’en finalise d’ailleurs l’écriture. À l’automne, je vous en dirai plus.

La bienséance, le savoir-vivre sont-elles toujours des valeurs d’actualité selon vous?

Complètement démodé! Quand on voit le succès de la famille Kardashian, sans aucune éducation et parfaitement vulgaire, il y a de quoi se poser des questions.

Quel regard portez-vous sur les actualités internationales et françaises?

Marine Le Pen? Ne trouvez-vous pas qu’elle pourrait faire la publicité pour les confitures Bonne Maman. Emmanuel Macron aurait pu en faire plus durant son quinquennat, mais il faut peut-être deux élections pour pouvoir vraiment agir. Président de la République est un métier.

Quelles sont les personnes sur qui vous pouvez vous appuyer…

Mes amis!

Vous êtes ami avec Darius Rochebin?

Oui. À l’époque, Darius Rochebin m’a invitée à la RTS, en tant qu’écrivaine. Nous avons lié une belle amitié et réalisé ensemble, plus tard, des émissions télévisées. Darius a commenté les grands mariages princiers. On travaillait main dans la main. Je lui glissais dans le creux de l’oreille le nom des invités.

Être femme, une force?

Quelle chance d’être une femme! Nous avons tous les atouts en main. Et le bonheur en tant que mère d’avoir un fils.

Qu’espérez-vous léguer à la postérité?

Ma fortune! Je ne vais rien emporter avec moi.

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