Interview avec le fils avant leur show le 12 novembre à l’Arena de Genève. Leurs voix se mêlent, s’accordent à merveille, «L’Oppportuniste» qui lance l’opus. 

Qui êtes-vous?

C’est difficile! Mes proches pourraient mieux répondre que moi, je pense. On peut revenir à cette question en fin d’interview?

Votre premier album avec votre père, «Dutronc & Dutronc», a été en partie enregistré en Suisse. Pourquoi?

La musique, on l’avait enregistrée en avril, avant d’attaquer les festivals, et on avait prévu dix jours en juin pour enregistrer les voix. Sauf que mon père a eu le Covid à ce moment-là. Donc on a dû l’enregistrer en 4-5 jours en juillet, juste avant notre concert au Montreux Jazz Festival. On était à Vevey, dans un hôtel qui a un drôle de nom (le Mirador Resort & Spa, ndlr), mais qui est un des plus beaux hôtels qu’on a vu de notre vie, mon père et moi. On y a passé une semaine de rêve entre la vue, le service, les belles chambres. C’était le paradis.

Avez-vous d’autres bons souvenirs en Suisse?
Quand mon père avait tourné «Merci pour le chocolat» de Chabrol à Lausanne, il séjournait au Lausanne Palace et on était devenu très copain avec Jean-Jacques Gauer, le patron de l’époque. Un jour, quand je débutais avec mon petit trio de guitare-jazz, je l’avais appelé pour lui dire que j’étais dans le coin et il m’avait logé trois jours dans la suite présidentielle, c’était incroyable! J’ai aussi de bons souvenirs de fêtes en Suisse, je suis très copain avec Marcello Giuliani, le bassiste d’Erik Truffaz, et je suis venu un paquet de fois au Cully Jazz Festival.

Vous pourriez vivre en Suisse?

C’est vrai qu’on se pose la question parfois par rapport aux impôts! (Rires). Mais pas uniquement. J’apprécie beaucoup la gentillesse des gens, le calme, la qualité de vie. Il y a 15 ans, j’ai chanté «J’aime plus Paris» et c’était un peu au deuxième degré, car je finissais en disant que je l’aimais quand même. Mais aujourd’hui, Paris est devenu de plus en plus invivable, sale et violente. Elle reste une belle ville, mais avec la gentrification, il n’y a plus personne de populaire à Paris, sauf dans les quartiers pourris et limite dangereux. Il n’y a que des boutiques de luxe partout, les gens sont agressifs. Je pourrais vivre en Suisse, mais je ne suis pas un fan de l’avion et en train Paris-Genève, c’est encore un peu long. Moi, je me planque plutôt à la campagne ou en Corse, qui est une sorte de Suisse, mais entourée d’eau.

Le 12 novembre, vous serez à Genève. Ce concert sera-t-il différent de ceux de Montreux et du Chant du Gros?

Oui, car il y aura notre décor, style studio d’enregistrement vintage, qu’on n’avait pas dans les festivals. Et on va faire des chansons supplémentaires. Mon père est un peu comme moi sur ce point: on aime bien affiner les choses, donc, à chaque fois, il y a des nouveautés. On aura aussi avec nous le guitariste attitré de mon père, Fred Chapellier.

Qui a choisi les titres pour l’album et pour les lives?

On a choisi ensemble. Pour l’album, on voulait faire quelque chose de différent du live. Il y a des morceaux qu’on ne reprend pas sur scène, d’autres qui sont adaptés différemment. J’avais surtout envie de partager les chansons de mon père qui m’accompagnent depuis l’enfance. Elles sont vraiment très fortes. J’étais un peu inquiet: est-ce que mes titres allaient bien passer et s’équilibrer avec les siens? Finalement, nos chansons se complètent bien. Les miennes amènent une autre ambiance, une poésie un peu différente.

Pourquoi ne pas avoir intégré davantage de vos titres dans le live?

J’ai eu le Covid en avril, durant la semaine de répétitions juste avant la première date. J’aurais voulu insister pour que mon père travaille une ou deux chansons de moi en plus, mais je n’étais pas là pour le faire et il n’a pas trop forcé, on va dire. Personne n’ose rien lui dire, à part moi. Grâce au disque, on a pu chanter plus de mes chansons. Peut-être que maintenant, il en fera une ou deux de plus sur scène, je ne sais pas. Je ne veux pas lui prendre la tête. On est là pour s’amuser. On s’adore et il y a beaucoup de tendresse, d’humour et d’amour entre nous.

Votre père est-il difficile à motiver?

C’est surtout qu’il a envie d’être à 150%. Il chante superbien, il a vraiment un don, son timbre de voix est magique, reconnaissable entre tous. Il a déjà beaucoup à faire avec ses propres titres. L’album, c’est du travail, mais la scène, c’est de la fête. Je ne veux pas le surcharger. S’il veut en faire une de plus, tant mieux. Sinon, je comprends. On n’est pas là à compter qui fait quoi. L’important, c’est qu’on s’éclate.

Comment collaborez-vous?

On avance sur tout ensemble. Quand je suis sûr de moi, j’insiste pour m’imposer parce que je sais qu’il faut un peu insister avec lui. Je me rappelle que quand j’avais eu le bonheur de travailler avec Aznavour, j’avais été frappé de voir que personne n’osait rien lui dire. Avec les gens célèbres, avec mon père, c’est un peu pareil. Mais moi, j’ose. Après je ne veux pas trop le faire ch***, je fais attention. C’est plutôt sur le nombre de choses que je lui dis que je le ménage, mais s’il faut vraiment lui dire un truc, je le fais.

Avez-vous un lien particulier avec les chansons retenues?

Mon père ne voulait pas faire «Fais pas çi, fais pas ça» en live, parce qu’elle est très rapide. Du coup, c’est moi qui la chante. Je la voulais vraiment parce que c’est une des deux premières chansons de mon père qui m’ont marqué, avec «Les Playboys». Le joujou extra qui fait crac boum hue, ça m’amusait beaucoup, même si à 5 ans, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Pour l’album et le live, on a surtout gardé les chansons indémodables.

Avez-vous retravaillé certains textes de l’époque?

Non, tout passe très bien encore. C’est ce qui est drôle: les chansons de mon père sont intemporelles, elles n’ont pas pris une ride. Il y a peut-être juste dans «J’aime les filles» où il y a une liste un peu longue de filles. Sur scène, on improvise des blagues à la place ou on chante «J’aime les filles de Genève» ou de la ville où on se trouve.

Reprendrez-vous aussi un jour des chansons de votre mère, Françoise Hardy?

On y avait pensé pour le live, mais on n’a pas trouvé de titres vraiment adéquats pour mon père et moi. Du coup, on lui rend un bel hommage en jouant «Le temps de l’amour» en instrumental, en projetant une grande photo d’elle. C’est émouvant.

Comment se porte votre maman?

Elle a eu plusieurs cancers ces dix dernières années, qui sont tous en rémission pour l’instant. Mais ses cancers, les radiothérapies et chimiothérapies lui ont vraiment saboté la santé. Donc elle a une santé assez fragile et au quotidien, sa vie n’est pas très agréable, pas très drôle.

Qu’a-t-elle pensé de l’album?

Elle a apprécié plein de choses. J’étais content parce qu’elle n’avait jamais trop aimé «Demain», qui avait été le premier single de mon deuxième album. Elle ne la trouvait pas nulle, mais elle pensait qu’il y avait mieux et que c’était dommage de sortir celle-là en premier. Quand elle a écouté «Dutronc & Dutronc», elle ne l’a pas reconnue et l’a trouvée très bien! Comme quoi, tout arrive (Rires). Mais malheureusement, ma mère a un petit souci d’oreille actuellement qui, j’espère, va se résoudre. Elle passe sa vie à combattre des soucis de santé…

Êtes-vous plus proche de votre mère ou de votre père?

Je suis proche des deux, mais ce sont deux personnages totalement différents. Avec ma mère, on peut parler de tout, on peut facilement tout se dire. Avec mon père, on a moins l’habitude de faire ça. On peut parler de sujets plus profonds, mais ce n’est pas ce qui vient forcément en premier.

Vous vous dites «je t’aime» dans la famille?

Oh oui!

Aussi avec votre père?

Oui, de temps en temps quand même. Mais avec mon père, c’est plus par les gestes qu’on se le dit. Avec lui, on devine un peu les choses. Ma crise d’adolescence, avec ma mère, j’ai dû la faire à 11-12 ans. Avec mon père, c’était plutôt 17-18 ans! Pourquoi? Parce que ma mère, elle me parlait tout le temps, elle venait m’emmerder pour ci, pour ça, les trucs normaux de parents. Alors que mon père restait plutôt silencieux. On était plus à faire des blagues ensemble, à cohabiter comme des potes.

Il y a des disputes parfois chez les Dutronc-Hardy?

On peut parfois se fâcher très fort, mais on ne s’endort jamais fâchés. On se réconcilie toujours. Il m’arrive d’être furieux, mais le soir, je vais pardonner ou envoyer un petit mot gentil. On s’aime par-dessus tout, il y a une tendresse, une gentillesse profonde. On a un côté «grands enfants» tous les trois.

Y a-t-il des réunions à trois?

Non. J’ai un fort lien avec les deux, ils représentent tellement de choses pour moi, c’est énorme. Ma mère, j’en suis très proche, mais avec tout ce que je fais en ce moment, je ne vais pas la voir aussi souvent que j’aimerais.

Avoir des parents célèbres a-t-il été difficile dans l’enfance?

Mes parents ont été adulés toute leur vie et entourés de gens qui étaient à leurs pieds, mais cela ne m’a pas perturbé parce qu’ils étaient eux-mêmes à mes pieds, si je peux dire. J’ai grandi avec beaucoup d’amour. J’ai cependant eu une période difficile entre 17 et 19 ans:  je voulais suivre un cursus pour devenir réalisateur et il fallait un diplôme. Je me suis inscrit dans une fac qui ne m’a pas correspondu. J’étais un peu perdu. Et je me disais: «Mes parents ont réussi, et moi, qu’est-ce que je vais devenir?» C’est là que j’ai découvert la guitare. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est que le but dans la vie – c’est une idée qui me venait de ma mère et de mes grands-parents – c’est de faire quelque chose qu’on aime, de trouver sa passion. Si en plus, on réussit, c’est encore mieux évidemment. Ma mère me répétait: «Attache ta charrue à une étoile.» C’est aussi à cette époque que j’ai découvert Georges Brassens et Django Reinhardt, qui étaient encore plus forts que mes parents! Donc j’ai pu les reléguer un peu, en me disant que, finalement, ils n’étaient pas si bons que ça (Rires).

Débuter dans la musique avec votre nom vous a-t-il porté ou freiné?

Vu que je m’appelais Dutronc, le premier agent de notre groupe voulait tout de suite nous faire passer sur la grande scène! J’ai dit non. On faisait de bonnes choses, mais on débutait, on était bien pour faire des premières parties, des cabarets. Je ne me dépréciais pas, mais je préfère toujours être un peu trop humble, qu’un peu trop sûr de moi. Ce qui ne m’empêche pas d’être conscient de ma valeur.

Vous parlez volontiers de vos parents, mais de votre vie, on ne sait pas grand-chose…

(Rires). Il y a plein de choses dans ma vie! J’ai de la chance, mais je ne dis rien dans les médias, c’est vrai. Je suis ravi de parler de mes parents, je suis ravi de parler d’autre chose aussi. En revanche ma vie privée, je la garde pour moi.

Êtes-vous en couple?

Oui. (Rires). Je nen dirai pas plus.

Avez-vous des remords ou des regrets dans la vie?

J’arrive bientôt à 50 ans. Je me dis que si j’avais eu le cerveau que j’ai maintenant étant plus jeune, j’aurais fait différemment. J’ai beaucoup travaillé la guitare, mais je regrette de ne pas l’avoir fait davantage. J’ai passé pas mal de temps à faire la fête et le con. Ce qui est bien aussi, car c’est ce qui m’a construit. Avec le temps, on voit un peu plus quelles sont les choses essentielles. Mais le bonheur, c’est justement de ne pas voir les choses essentielles, de profiter de la vie sans y penser. Je regrette aussi de ne pas avoir eu 15-20 ans au moment des réseaux sociaux, parce que j’aurais fait des trucs marrants. À mon âge, ça me gave un peu. J’étais content des Facebook live que j’ai fait pendant le confinement, mais sinon, poster pour dire que je suis à la plage ou en studio, ça me saoule.

Êtes-vous serein à l’approche des 50 ans?

Malheureusement pas. On sent que le corps et la tuyauterie sont un peu plus fragiles qu’avant (Rires).

Ce cap a-t-il motivé cette réunion avec votre père qui aura 80 ans en 2023?

Non, c’est du hasard. On m’a souvent demandé si c’était un rêve d’enfant de chanter avec lui. Ce n’était pas un rêve d’enfant, c’est plutôt une envie d’adulte. C’est le bon moment parce que je suis plus assuré dans ma carrière, dans mon chant. À mes débuts, cela aurait été un peu intimidant. J’ai aussi hâte de faire mon nouveau disque, mais ce qu’on vit là avec mon père, c’est fabuleux. J’ai une chance incroyable de partager des moments de fête avec lui, ça me donne le vertige. Et on fait un métier extraordinaire. On a beaucoup de chance.

Alors pour finir, Thomas Dutronc, qui êtes-vous?

(Rires). Je suis un bon vivant qui aime bien l’amitié, la rigolade, le bon vin, la bonne musique et qui aimerait que le monde entier ne soit pas un cactus. J’aimerais aussi que tout le monde n’écoute que Brassens et Django, comme moi.

Cela ne serait pas idéal pour vous si c’était le cas!

C’est vrai! (Rires).

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