Photographie par Urko Suaya

«Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder», disait Oscar Wilde. On ne résistera donc pas à l’invitation de l’Opéra de Lausanne qui fêtera les 26 et 28 mars son 150e anniversaire. A l’affiche de ces deux galas, des airs, ensembles et ouvertures du grand répertoire lyrique du XIXe siècle, de Verdi à Wagner. Le tout étant lié par les interventions de Rossy de Palma, la désopilante «Tornada» du «Chanteur de Mexico» que l’opéra lausannois présentait, il y a trois ans.

 «Tornada», à la scène, tornade à la ville… Rossy de Palma est une boule d’énergie. A la fois comédienne, chanteuse, danseuse, mais aussi poète, sculptrice, photographe et même mannequin haute couture. Elle a tourné pour Almodóvar et défilé pour Gaultier. Une authentique artiste!

150 ans, âge vénérable. Mais pas question pour Éric Vigier, le directeur de l’Opéra de Lausanne, de verser dans la plate commémoration. «Il fallait une personnalité qui donne du piquant à ce genre de soirée.» Avec Rossy de Palma, pas de souci à se faire. Fantaisie et surprises seront à la clé. Pourtant, sous des dehors insolites, sinon fantasques, la dame est une grande professionnelle. «Elle est à la fois très sérieuse et pleine d’humour», complète Éric Vigier. Si tel n’était pas le cas, elle n’aurait pas mené la carrière que l’on connaît, au générique d’une pléiade de films de Pedro Almodóvar comme au programme du Piccolo Teatro de Milan. Mais c’est avec un groupe musical, les «Peores imposible», qu’elle a fait ses débuts, à Palma de Majorque.

«J’ai emprunté mon nom de scène à mon île natale. Venus du nord de l’Espagne, des Asturies et du Pays basque, mes parents s’étaient installés à Majorque où, dans les années soixante, le secteur de la construction était en plein essor. Mon père était maçon. Si j’ai quitté les Baléares pour le continent, je n’ai pas moins gardé de solides attaches là-bas. J’ai peine à dire si je me sens espagnole ou européenne. Ce dont je suis certaine, c’est que je suis mondiale, méditerranéenne et celtique. Les seules frontières auxquelles je crois sont gastronomiques!»

Création de Rossy de Palma en collaboration avec le designer Olivier Bernoux et le photographe Javier Biosca (lien boutique : https://olivier-bernoux-shop.com/collections/rossy-de-palma-olivier-bernoux)

Dans sa maison située à la périphérie de Madrid, Rossy fait volontiers la cuisine. C’est même un cordon-bleu. «Ce qui prime, c’est le goût, les papilles et la convivialité. D’ailleurs, l’ingrédient essentiel, bien qu’invisible, c’est l’amour. Je ne suis pas vraiment les recettes. J’ouvre le frigo et je me débrouille avec ce qui s’y trouve pour préparer le repas.» A la scène comme à la ville, Rossy est à l’aise dans l’improvisation. «Improvisation… si vous voulez, mais surtout il faut se laisser diriger par la muse de la cuisine.»

On a le sentiment que les muses jouent un grand rôle dans sa vie. Elle le dit sans détour: «Je suis toujours dans une effervescence créative.» Musique, danse, théâtre, opérette, cinéma, sculpture, écriture, photographie, couture… Rossy se passionne pour toutes les formes d’expression. A façonner de l’argile, à travailler ne serait-ce qu’un bout de bois ramassé au bord de la mer, elle dit atteindre «un état méditatif». Car la pasionaria madrilène est, à ses heures, une contemplative. «J’ai l’amour de la nature. Je suis fascinée par le vol des oiseaux que j’aperçois par la fenêtre, par le frémissement des feuilles d’arbre sous l’effet du vent. A la plage, je suis le mouvement des vagues, le cheminement des grains de sable.»

Lorsqu’on lui demande si elle a un lieu de rêve, la réponse fuse: «La mer, la Méditerranée ou alors l’Atlantique qui baigne le Sénégal et l’Afrique que j’aime tant. Ou encore l’île Maurice que je ne connais pas, mais que j’aimerais découvrir. Si on veut m’y inviter… (Rire). Ce qui m’attire là-bas, c’est le mélange de races et de cultures, les paysages et les palmiers. En fait, pour mon bonheur, il me faut la mer et les palmiers!»

 Au bout de quelques jours, à la mer et aux palmiers s’ajoute l’ennui, non? «Mais pas du tout. Je ne m’y ennuie jamais. C’est simple : quand j’y suis, je n’ai plus envie de partir. L’ennui, je l’éprouve dans la vie quotidienne, avec les obligations que cela implique.» Alors pourquoi avoir pris Madrid pour base? On y chercherait vainement la mer… « Les ciels de Madrid au lever et au coucher du soleil sont absolument magnifiques. Je reste bouche bée devant le spectacle des nuages. C’est un perpétuel émerveillement. La nature nous donne des leçons. Quand un oiseau chante, il ne le fait pas pour être applaudi.»

Photographie par Ruven Afanador

Revenons sur terre. Est-il vrai que Jane Fonda a comparé Rossy à un tableau de Picasso? «Je ne sais pas si c’est Jane ou si c’est Pedro. Peut-être Pedro, par rapport à mon asymétrie faciale. Mais cela relève un peu de la légende. D’ailleurs, je peux aussi m’identifier à des toiles de Matisse ou de Modigliani! (Rire)» Son nez…, que n’a-t-on pas dit de lui? A 56 ans, Rossy de Palma a tout entendu. «Si j’avais eu des oreilles énormes, je me les serais certainement fait corriger. Mon nez ne m’a jamais dérangé. Si quelqu’un ne l’aime pas, c’est son problème. Pas le mien. L’attitude de certains à ce sujet m’a beaucoup appris sur la psychologie et sur la bêtise humaine! Pourquoi s’arrêter sur des caractéristiques sur lesquelles nous n’avons pas prise: le nez, la couleur de la peau…»

Rossy de Palma aborde volontiers tous les sujets. A une exception près: sa famille. Elle ne souhaite pas parler de ses deux enfants, un garçon et une fille de 21 et 22 ans. Elle préfère que leurs prénoms ne soient pas mentionnés. Tout au plus apprend-on qu’ils ont du sang antillais. «Ils sont magnifiques tous les deux. Ils font des choses très intéressantes. Comme mère, je pourrais vous en parler toute la matinée, car j’en suis fière. Mais je les respecte. Je n’ai pas à m’exprimer à leur place.»

La cause de l’enfance lui tient particulièrement à cœur. Rossy est ambassadrice de l’ONG Oafrica qui prend soin des enfants du Ghana en difficulté économique et sociale. Entre autres engagements, elle soutient aussi No More Plastic, une fondation qui prône un monde exempt de pollution plastique. «Je suis une humaniste avant tout, dit-elle. J’aime l’humanité, mais j’aimerais qu’elle soit plus humaine.» Le sort des migrants africains l’indigne. «La richesse de l’Occident, Europe et Amérique, est basée sur l’esclavage. Et maintenant les Africains doivent risquer leur vie pour venir en Europe! Pourquoi celui qui naît ici a-t-il plus de droits que celui qui naît là bas?»

 Au lendemain de cet entretien, Rossy s’est envolée pour l’Australie. Elle participe au tournage du premier long-métrage du chorégraphe Benjamin Millepied: un remake très contemporain de «Carmen», l’opéra de Bizet. Elle y chantera, elle y dansera. «J’ai tout de même fait huit ans de danse classique.» Elle espère pouvoir faire tourner en Suisse son spectacle en solo «Résilience d’amour» où elle interprète des chansons de sa composition. «Mais mon premier amour, c’est la poésie. La poésie est la mère de tous les arts. Qu’est-ce que la musique? De la poésie avec des notes. Et la peinture? De la poésie avec de la couleur.»

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