Photographie: Jens Koch/Berlinade

Ex-membre de l’équipe de Suisse de gymnastique rythmique, élue Miss Suisse romande en 2012, la Genevoise trace désormais sa route à Paris comme comédienne. Elle vient même de créer sa compagnie de théâtre, baptisée 23h59, avec laquelle elle espère pouvoir bientôt travailler en Suisse.

Souheila Yacoub n’a que 29 ans, mais elle a déjà plusieurs vies à son actif. Membre de l’équipe de Suisse de gymnastique rythmique, elle a vu ses rêves olympiques s’envoler en 2012. Puis oublia sa déception en… remportant l’élection de Miss Suisse romande quelques mois plus tard. Mais la Genevoise avait d’autres rêves, d’autres envies, qui la conduisirent jusqu’à Paris, sur les bancs du Cours Florent. En quelques années, la jeune femme, à la fois belle et fascinante, est devenue une comédienne appréciée, tant au théâtre que sur grand écran. Elle vient d’ailleurs de terminer le tournage du dernier long-métrage de Cédric Klapisch, aux côtés de Muriel Robin, Pio Marmaï et Denis Podalydès. «Je suis fan de ses films depuis que je suis gamine», nous avoue-t-elle au téléphone. «Ce sera très différent de ce que j’ai pu faire avant. J’ai souvent joué dans des films indépendants, moins populaires. Là, je vais toucher un public plus large.» Souheila se dit d’ailleurs chanceuse, puisque, malgré confinement et couvre-feu en France, ses derniers mois ont été bien occupés, avec un deuxième projet sur le feu: le premier long-métrage d’Anaïs Volpé, «Entre les vagues».

 «C’est une étape importante pour moi, précise-t-elle d’emblée, car c’est aussi mon premier rôle principal. Le scénario est magnifique, inspiré de la vie de la réalisatrice: une histoire d’amitié entre filles, très fulgurante, dans le milieu du théâtre. Le tournage a été intense, car je voulais être à la hauteur. Il n’y a pas un plan où je n’apparais pas, je tiens le projet du début à la fin, il fallait que je maintienne le rôle dans son intensité pour que ça ne devienne pas monotone à l’écran.

 

Paris Match Suisse. Est-ce votre marque de fabrique? Vous interprétez souvent des femmes fortes, avec beaucoup d’intensité…

     Souheila Yacoub. Il y a quelque chose qui me fascine, dans l’incarnation. Pour nourrir chacun de mes rôles, je vais puiser dans les choses que j’aime, dans celles qui peuvent être douloureuses aussi, c’est cette voie-là que j’ai envie d’explorer. Dans «No Man’s Land» ou «Les Sauvages», le corps était tellement présent que ça en devenait presque douloureux. Il y avait quelque chose de la transe. Mais c’est ce qui me fait vibrer, cela me permet de vivre plein de vies différentes.

Sur Instagram, vous avez publié une photo de vous, jeune gymnaste, avec cette légende: «La période où j’étais prisonnière de mon corps». Cela explique-t-il ce besoin viscéral de vous exprimer?

     Il y a de ça, c’est vrai! Lorsque je m’entraînais à Macolin, nous étions sous l’emprise des coaches. Je n’avais aucune liberté d’expression, tant par le corps que par la parole. J’étais comme un robot. Aujourd’hui, j’aime les choses très émotionnelles et je me sers de ce corps pour raconter tout ça.

Photographie: Penelope Caillet

Est-ce ce qui vous a poussée à devenir comédienne?

     Non. Dès l’enfance je savais que je ne travaillerai pas dans un bureau. J’ai toujours voulu faire un métier artistique. La gymnastique, avec la danse, participait de cette envie. Avec ma sœur, nous passions notre temps à nous costumer et à jouer. Mais si je n’avais pas été gymnaste, si je n’avais pas eu ce passé, j’aurais eu certainement moins de choses à dire. Je serais une actrice différente.

L’an dernier, plusieurs gymnastes suisses ont témoigné dans les médias du mauvais traitement infligé par leurs coaches. Comment avez-vous traversé cette période?

     Elle a été assez difficile pour moi, parce que j’ai fait partie de cette équipe et, surtout, parce que j’ai été moi-même l’une des cibles de ces coaches. Partir à Paris ne constituait pas une fuite en soi, mais ça m’a permis d’oublier, de passer à autre chose. Alors, quand tout est sorti dans les médias, quand j’ai entendu ce que mes amies ont raconté, je l’ai ressenti comme un coup de couteau au fond de moi: tout ce que j’avais essayé d’oublier ressortait d’un coup.

Vous-même n’avez jamais eu envie de témoigner?

     On me l’a demandé, mais avec tout ce qui a été dit, on n’avait pas besoin d’un témoignage supplémentaire… Surtout, je n’ai pas vécu le même cheminement qu’elles. Elles ont eu suffisamment de recul avec tout ça pour avoir le courage de s’exprimer. Elles étaient prêtes, entourées. Chez moi, les émotions sont encore très fortes, j’ai une boule de colère au fond de moi, une telle haine envers les coaches et les adultes qui nous encadraient.

Et aujourd’hui, quel est votre état d’esprit?

     Mon dieu, je remercie mes amies d’avoir fait éclater la vérité. Justice sera faite. Et d’après ce que j’ai pu entendre, cela a déjà commencé… A l’époque, on était sous le joug des coaches, mais on pensait que ces sacrifices servaient notre cause. D’autant que nous avions des résultats: l’équipe de Suisse est passée de la 20e à la 4e place mondiale. Mais était-ce normal d’enfermer une enfant dans une chambre parce qu’elle avait pris 300 grammes?

Revenons au théâtre! La pièce de Wajdi Mouawad, «Tous des oiseaux», a vraiment servi de tremplin dans votre carrière.

     Je sortais du Cours Florent, j’étais encore une jeune élève et j’étais engagée, pour mon premier projet professionnel, dans l’une des plus grosses productions françaises, avec un auteur que j’adore. C’était dingue! Chaque représentation se terminait par une standing ovation.

Avec «Les Sauvages», puis «No Man’s Land», vous avez enchaîné avec deux séries TV. Un autre rythme?

     Ce qui était intéressant dans ces deux aventures, c’était de construire le personnage, de faire les recherches en amont pour nourrir le rôle… J’ai arrêté l’école à l’âge de 16 ans et, franchement, je ne me sentais pas légitime d’incarner la fille d’un candidat à l’élection présidentielle, qui plus est sa directrice de campagne. Je n’y connaissais rien en politique française. Je me suis renseignée, j’ai rencontré des politiciens, je leur ai demandé comment on gérait une équipe, en campagne. C’était vraiment enrichissant. J’ai l’impression de poursuivre mes études à travers le cinéma. Mais c’est plus fun, car il n’y a pas de notes derrière. (Rires).

Et la Suisse dans tout ça?

     Je ne vais pas laisser tomber le cinéma suisse. J’ai un ou deux contacts, mais c’est encore un peu frais pour en parler. J’ai aussi créé une compagnie de théâtre, baptisée 23h59, avec un ami comédien, Nicolas Bochatay. Notre objectif est de grandir et de monter des projets ensemble. Nous espérons pouvoir bientôt exporter notre travail en Suisse.

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