Star du sport suisse, champion olympique d’hippisme à Londres en 2012, le Jurassien Steve Guerdat (37 ans) possède non seulement un talent hors norme mais il porte toujours sur les choses un regard plein de lucidité, d’intelligence, ce qui n’est pas monnaie courante dans le monde du sport.

Dans une étonnante tribune libre publiée récemment dans le «Matin Dimanche», il livre une vision décapante de la crise du coronavirus que nous traversons, sans langue de bois et sans tomber dans les clichés. Loin de se plaindre comme tant d’autres sportifs réduits à l’inaction, il y voit même des aspects positifs. «S’il n’y avait pas tous ces drames, ces décès, je dirais que cette période pour moi est plutôt agréable, car on est à la maison sans stress, à réfléchir, à se ressourcer. Je monte me chevaux tous les jours, je continue à faire ce que j’aime», écrit-il. Pour «Paris Match» Steve Guerdat a accepté de revenir sur cette étonnante chronique, qui tranche dans la déprime actuelle.

Au fond, pour vous, cette crise est un peu comme une parenthèse bienvenue dans votre vie frénétique de champion?

Bien sûr que j’aime la compétition, mais depuis l’âge de 14 ans, c’est la première fois que je peux m’arrêter, respirer un peu. Je vis toute la journée avec mes chevaux sans le stress de la compétition et c’est très agréable. Je passe toutes mes journées avec eux. C’est l’occasion de revenir aux racines de ma passion. Pour moi, l’amour des chevaux a toujours été plus important que la compétition elle-même.

Et pour vous, le report des JO de Tokyo, dont vous étiez l’un des favoris, n’est pas un drame…

Il y a des avantages pour certains, des inconvénients pour d’autres. Mais le sport est fait d’aléas et il faut savoir faire face, s’adapter. Une chose est sûre: le CIO a pris la bonne décision.

Selon vous, «cette épidémie a déjà fait bouger l’échelle de nos valeurs, de nos priorités». En fait, vous relativisez un peu ce qui est décrit comme une catastrophe chez nous. Dites-nous en plus…

A quoi, en réalité, se résume cette «catastrophe» pour la plupart d’entre nous? A rester à la maison. Est-ce vraiment la fin du monde? Dans bien des pays, les gens n’ont même pas de maisons et c’est eux qui sont les premiers touchés.  Nous vivons dans une société de privilégiés. Depuis des dizaines d’années, les drames ont touché les autres mais pas nous, alors on fermait les yeux et on s’en foutait un peu. Cette fois, la crise nous touche directement et ça doit nous ouvrir les yeux.  Nous mesurons mieux la chance que nous avons dans notre vie normale, de tous les jours. De chaque expérience, en sport comme dans la vie, il y a des éléments positifs à tirer.

A ce sujet, vous écrivez «qu’il y a d’autres choses dans la vie que la course à l’argent, des valeurs à défendre». C’est, à vos yeux, l’une des leçons de cette crise?

Je parle en particulier du milieu que je connais le mieux, le sport. Bien sûr, je ne crache pas sur l’argent, mais je trouve dommage qu’en sport, il soit devenu la seule priorité. L’argent devrait constituer la récompense d’un effort et pas la seule motivation, ce qu’il est de plus en plus aujourd’hui. De manière plus générale, lorsqu’on parle d’une vie réussie, il devrait y avoir d’autres critères que celui de l’argent.

Parmi les leçons positives de la crise, vous évoquez ces «jolies histoires de solidarité, les gens pensent aux autres et ça fait du bien». Vous êtes étonné par cet élan?

Je ne parle pas forcément des gens qui font des dons, car certains ont des arrière-pensées publicitaires et d’autres n’en ont tout simplement pas les moyens. Non, je pense surtout à toutes ces petites actions au quotidien. Au lieu de se contenter de regarder des séries à la télé, beaucoup de gens vont faire les courses pour leurs voisins, se serrent les coudes, prennent soin des autres. Franchement, je ne m’attendais pas à un tel phénomène. On redécouvre de vraies valeurs humaines et ça fait chaud au cœur.

Vous y participez personnellement?
Oui, mais je n’ai pas envie de l’afficher.

Le virus vous fait-il peur?

Pour moi, non, car je me protège. En revanche, j’ai peur pour mes prochains, pour certaines personnes plus fragiles. Ce virus reste très contagieux.

Pensez-vous qu’après avoir traversé cette crise, notre société en sortira meilleure, transformée?

Je ne sais pas, j’espère, sans jouer les bons samaritains. Fera-t-on les choses différemment, y aura-t-il une vraie prise de conscience ou alors reprendrons-nous nos vieilles habitudes? Que feront ceux qui prêchent la bonne parole aujourd’hui? J’ai bien peur que notre société, pour rattraper le retard accumulé, ne reparte dans une frénésie pire qu’avant. Une seule chose est sûre: la grande bénéficiaire de la crise, en ce moment, c’est la terre, la nature.

Pin It on Pinterest

Share This