Musique, jazz, rock et variété portés par quinze nationalités de musiciennes et musiciens pour célébrer la musique de Thierry Lang au Théâtre Équilibre de Fribourg. Unique, un seul soir, le 16 septembre. Le temps restera suspendu.

Il nous reçoit dans sa maison du XVIIIe au cœur du village d’Ollon. Le décor est chaleureux et plein de charme. Jolie surprise, au pied de la maison, un ravissant jardin sorti de terre comme un trésor.

Thierry Lang, pianiste et compositeur suisse après avoir fait vibrer un public international, que ce soit aux États-Unis ou au Japon, devrait nous enchanter lors de son interprétation de «The Art of Melody» avec l’Orchestre de chambre de Fribourg.

À 7 ans, le jeune garçon né dans une petite ville du canton de Fribourg, sait déjà que le piano sera sa passion et sa vie. Il se jettera à corps perdu dans cet amour-là! Jusqu’à 21 ans, il suivra de brillantes études de piano classique, tout en se laissant séduire par le jazz.

VIE PRIVÉE – VIE PUBLIQUE

Thierry Lang, votre carrière vous a propulsé sur les plus grandes scènes du monde, et ce 16 septembre, vous interprétez «The Art of Melody». Est-ce une forme de consécration ou une nouvelle aventure?

C’est un peu les deux. Une nouvelle aventure, car j’ai dû me lancer dans l’écriture de la musique pour un grand orchestre classique qui ne compte pas moins de huit solistes. J’ai évolué toute ma vie entre musique classique et jazz. La mélodie et le lyrisme impliquent énormément de facettes et un important travail en amont, car on touche à la création musicale, que ce soit les paroles (les textes sont de David Linx), mais aussi l’orchestration. Cette création coûte très cher. Il faut trouver des sponsors. Je porte beaucoup de choses sur mes épaules.

Quel a été l’évènement marquant qui a fait démarrer votre carrière?

Ma rencontre avec Jim Beach, le manager de Queen. Il deviendra mon manager. J’ai aussi eu la chance de faire connaissance de son fils Oliver. Quelqu’un de formidable! C’est à cette époque que j’ai signé un contrat d’artiste avec le fameux label Blue Note. Cela a boosté ma carrière. C’était passer d’une trottinette à une Formule 1. Je dois beaucoup à Jim Beach. J’ai fait 7 disques sous l’égide de Blue Note grâce à lui. Il me faisait confiance, j’étais libre, c’est un luxe incroyable.

Vous croyez aux rencontres… parlez-nous de celles qui vous ont marqué.

Ma rencontre avec Toots Thielemans, le plus talentueux et célèbre harmoniciste du monde. Cela date du Festival de Cully de 1989. Nous avons fait un concert ensemble, puis un disque. Fantastique et exaltant. Il m’a soufflé une définition de sa musique «Entre sourire et une larme» que j’ai adoptée.

La création est une souffrance ou une jouissance?

Je ne crois pas à la souffrance quand il s’agit de création. Je ne fonctionne pas comme ça. Elle n’a pas d’impact sur mon envie de composer. Je recherche la beauté. Pour Mozart, c’était mettre ensemble des notes qui s’aiment. Ce que je fais. Mes mélodies sont simples à mémoriser. Je joue cependant «le diablotin» en y improvisant des harmonies vives et intenses. Pour Brahms, il fallait en sorte que chaque fois, ce soit inattendu. Jouez entre la beauté de la mélodie et la complexité de l’harmonie est un jeu. Que j’aime encore… à mon âge (rires).

À quel moment de la journée êtes-vous le plus créatif?

J’aime beaucoup le matin. J’ai des idées qui peuvent surgir la nuit. J’ai toujours un petit bloc- notes sur ma table de chevet.

Vous fumiez cigarette sur cigarette à l’époque lorsque vous composiez. Comment avez-vous pu arrêter?

J’avais effectivement mon cendrier plein de cigarettes près du piano. Un jour, alors que je rentrais d’un concert en Roumanie et que je toussais méchamment, j’ai consulté mon médecin. Il m’a dit avec un regard pénétrant et lourd de sens: «C’est le moment.» Il parlait bien sûr d’arrêter de fumer. Je me suis exécuté, mais j’ai mis une année à ne plus avoir de manque.

Quel sens donnez-vous à votre existence aujourd’hui?

La mort a le sens que l’on donne à la vie. J’ai toujours recherché la beauté, un principe de base avec l’empathie et l’amour du prochain. J’aime les gens et les rencontres.  Une constance que l’on retrouve dans ma vie.

66 ans, un double 6, plutôt un beau présage.

J’avoue que c’est une année où tout fonctionne! C’est ma première année de retraite de l’enseignement (j’ai enseigné 41 ans au Conservatoire de musique de Montreux) et je vis pleinement ma liberté.

Votre vie de famille a-t-elle souffert de vos absences lors de multiples concerts à travers le monde?

Oui, je pense. Il n’y avait pas de portable à l’époque, il fallait s’appeler depuis les différents hôtels qui sillonnaient mes concerts. J’étais angoissé. Mais je parvenais à garder un lien très fort avec les enfants.

Quel a été la plus dure épreuve de votre vie, la mort de votre père, mais encore…?

La mort de mon frère Patrick a été une épreuve douloureuse. Mais il y a aussi le départ de certains amis avec qui j’avais partagé, certaines fois, plus qu’avec sa famille. Cela laisse une trace de chagrin indélébile. Mais que peut-on faire?

Comment vivez-vous vos chagrins d’amour? Vous vous enfermez dans votre bulle ou vous vous étourdissez?

Je n’ai pas été épargné, côté chagrin d’amour! J’ai eu des peines immenses. Et je me retrouve maladroit et décontenancé. J’ai un laser dans la tête! Je m’enivre de musique, j’ai le privilège de pouvoir m’évader dans ce que j’aime passionnément.

Vos enfants Benjamin et Valentine marchent-ils dans vos pas côté créativité?

C’est surtout Valentine qui suit la voie de la créativité. Elle est designer-graphiste 3D. Elle crée des publicités. Ça m’impressionne toujours.

Dans votre livre il est écrit que «vous vous nourrissez des évènements de la vie, des plus amoureux comme du plus funeste», pouvez-vous développer?

L’inspiration se construit quotidiennement, que ce soit par des petites ou des grandes choses de la vie. Je suis toujours dans la recherche de la beauté, de l’émotion; une situation, un mot… tout est sujet à inspiration.

Vous aimez la vie, le plaisir, les autres, le vin, la musique, mais c’est dans le cœur des autres que vous recherchez les notes selon votre biographie…

La vie, c’est un tableau, une sensation, je les colle à des brides de mélodies et tout se dispute dans ma tête et dans mon cœur. Avec le dessein de faire s’aimer les notes entre elles. Et quand une composition est terminée si on ne parvient plus à enlever quoi que ce soit, elle a acquis ses lettres de noblesse.

Vous êtes ami d’enfance du grand chef Carlo Crisci, et un fin bec aussi. La fidélité en amitié, pourquoi est-elle si importante pour vous?

Je fais la distinction entre copains et amis. De vrais amis. Je connais Carlo depuis l’enfance. On a construit une relation indestructible comme avec Daniel Perrin. J’aime retourner à mes racines. Nous sommes tous les trois natifs de Romont. La ville m’a décerné la bourgeoisie. Je suis fier d’être leur ambassadeur.

En traversant le monde et les nuits solitaires, avez-vous pu prôner la même fidélité en amitié?

La fidélité, c’est une connerie, l’honnêteté, c’est bien. La phrase n’est pas de moi.

Avez-vous des remords ou des regrets?

Un seul petit regret. J’aurais aimé être polyglotte pour pouvoir communiquer avec les gens du monde entier.

Alors vous êtes plutôt du genre «remise en question» et à analyser le pourquoi du comment?

Je suis assez analytique. Je me fie à mon instinct. En privilégiant toujours le sentiment et la recherche d’une certaine harmonie.

En cas de conflits ou de disputes, comment les vivez-vous?

Je ne supporte pas les altercations, les propos acerbes, les cris… je pense que l’on peut tout dire même des choses difficiles ou dures à entendre, gentiment. Si on me fait un sale coup, je suis très rancunier. C’est affreux à ce point-là. Et je n’oublie pas d’oublier son nom et son adresse.

Vous parlez d’une certaine force tirée de votre enfance, mais n’avez-vous pas reproduit un schéma que vous avez vécu quand il s’agit «du père manquant» même si vous avez témoigné beaucoup d’amour à vos enfants? 

C’est vrai que mon père ne m’a pas fait sauter sur ses genoux! Il m’a manqué sans aucun doute de l’affection lorsque j’étais petit garçon. Mes trois frères et moi avons passé toute notre scolarité en internat. D’où la mélancolie qui m’habite depuis toujours. Et il est vrai qu’il se dégage de ma musique une certaine tristesse, une émotion. Pour mes enfants, ce schéma était dépassé. À l’adolescence, je les prenais fort dans mes bras et ne cessais de leur asséner des «je t’aime».

Votre fugue, adolescent, était un sacré appel au secours?

Bien sûr. Mon père imaginait faire de moi un médecin ou un avocat.  Et depuis mon plus jeune âge, j’avais décidé d’être musicien. La communication nous a manqué. Le choc de ma fugue lui a ouvert les yeux et nous avons pu enfin nous parler.

Êtes-vous croyant?

Oui. Je crois que c’est la solution de croire en Dieu. En revanche, j’ai un peu de peine avec les marchands du temple.

Pensez-vous entretenir une relation saine avec l’argent?

En tout cas, je ne suis pas fourmi! J’aime trop la vie. Je fonctionne aux coups de cœur. Savez-vous comment un jazzman devient millionnaire? Parce qu’il est né milliardaire!

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