Tout le monde souhaite une reconnaissance définitive pour ce grand symbole de la diaspora africaine. Malgré sa sortie ratée du groupe Credit Suisse.   

Retentissant coup de tonnerre sur la place financière suisse. Le «New York Times» publiait début octobre un long article sur les cinq années pendant lesquelles le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam a dirigé le groupe Credit Suisse à Zurich. Le récit donne quelques détails suggérant que ce successeur de l’Américain Brady Dougan n’a pas été traité tout à fait de la même manière. De la part de deux actionnaires privés franchement racistes en particulier. Dont une nonagénaire. Sans parler de certains médias zurichois, plutôt enthousiastes lors de son arrivée en 2015. Mais saisissant plus tard chaque occasion de critiquer son train de vie, son manque de clarté et de contact avec les équipes. Un style bien trop français à leur goût. Ou trop africain peut-être?…   

L’affaire est entendue aux yeux du grand quotidien américain: Tidjane Thiam n’a jamais vraiment été accepté par le microcosme financier zurichois. La Suisse est peut-être, et de loin, le pays développé le plus ouvert aux managers étrangers. Actif sur cinq continents, Credit Suisse a sans doute retiré une grande fierté d’avoir osé hisser au sommet le premier dirigeant bancaire africain de ce niveau. Musulman de surcroît. Il n’en reste pas moins que l’expérience se serait déroulée autrement s’il n’avait pas été… africain, justement.

Parce que les choses se sont assez mal terminées. Passé à la concurrence, un membre particulièrement en vue de la direction de Credit Suisse, présidée par Tidjane Thiam, a ensuite été espionné de peur qu’il débauche d’autres compétences. Psychodrame et scandale à Zurich.

Dans le dernier de ses grands entretiens avec Darius Rochebin sur la RTS, Thiam (qui ne parle pas l’allemand) confirmait qu’il n’était pas au courant des filatures. «Je ne devrais pas le dire, ajoutait-il, mais j’ai vu dans des vies antérieures qu’il arrivait que ce genre de chose se produise dans des entreprises internationales. Sans que le numéro un le sache.» Il sera toutefois désavoué par le conseil d’administration. Après quatre mois d’interminables controverses, sa démission est annoncée le 7 février dernier.

Pour le «New York Times», ce lâchage ne se justifiait nullement. Il s’agit de toute évidence d’une sanction à caractère racial. «Un CEO d’origine différente n’aurait-il pas survécu? D’autres dirigeants bancaires ont surmonté des scandales bien plus graves.» Dans le monde anglo-saxon du moins. 

La presse zurichoise, elle, n’a aucun doute que cet article tardif, si bien informé, a été inspiré par Tidjane Thiam lui-même. Réglant ainsi ses comptes avec le conseil d’administration de Credit Suisse. Davantage qu’avec la Suisse elle-même, dont le Franco-Ivoirien n’a cessé de louer les qualités d’ouverture et d’accueil. 

Quoi qu’il en soit, l’affaire zurichoise apparaît aujourd’hui comme un immense gâchis. Pour ce grand symbole brillant et brisé de la diaspora africaine en premier lieu. Fervent lecteur de l’écrivain russe Dostoïevski, Tidjane Thiam est même devenu une sorte de personnage dramatique.  

Peu de temps après ses débuts à Credit Suisse, il annonçait son divorce d’avec Annette Thiam Anthony, avocate afro-américaine, soutien d’Obama (puis de Biden). La mère de ses enfants, qui lui avait valu le surnom d’«Obama de la finance». Après sa démission cinq ans plus tard, l’enquête publique sur les filatures (dont l’un des auteurs s’est suicidé) l’oblige à rester en Suisse. Alors que Bilal, l’un de ses deux fils, agonise d’un cancer à vingt-quatre ans dans une clinique spécialisée de Los Angeles.

Tidjane Thiam obtient finalement l’autorisation de s’y rendre. Le décès de son aîné a lieu le 10 mai à deux heures du matin. Le jeune Bilal s’était un peu fait connaître comme mannequin avant de terminer des études en science politique à la Brown University de Rhode Island. Sa disparition a suscité une certaine émotion sur les réseaux sociaux. Très affecté, le père postait un poignant message sur Facebook: «Que Dieu prenne pitié de toi mon fils.» 

Pourtant, à 58 ans, l’ascension de Tidjane Thiam n’est peut-être pas terminée. Pour autant bien entendu que l’épisode des filatures de Zurich ne pèse pas trop sur sa réputation. L’influent «New York Times» y contribuera peut-être en ayant fait de lui une sorte de victime systémique.

Le nom de ce diplômé des plus hautes écoles françaises revient depuis longtemps s’agissant de la Côte d’Ivoire. N’y fut-il pas jeune ministre éphémère du développement, juste avant le coup d’Etat de 1999? Il a pourtant affirmé plusieurs fois depuis lors qu’il n’était pas attiré par la politique. 

En Côte d’Ivoire du moins, vers laquelle il lançait quand même ces derniers temps des messages de réconciliation et de paix, en vue des élections à hauts risques de fin octobre. Et pourquoi pas en France, pour un poste de ministre? Cette France qui a tant regretté de ne pas lui avoir fait confiance au début de sa carrière? L’incitant à s’exiler vers le Royaume-Uni, puis vers la Suisse? Le président Macron n’est pas seul à lui vouer aujourd’hui une grande admiration. Le groupe de luxe Kering (famille Pinault) l’a nommé récemment dans son conseil. Une modeste reconnaissance tardive.    

C’est plutôt du côté des organisations internationales que les commentateurs le verraient bien rebondir. Avec l’appui de la France et de l’Afrique. Mais de l’Afrique sans la Côte d’Ivoire du président Ouattara, l’homme du coup d’Etat de 1999… Le site d’information «L’Afrique Aujourd’hui» révélait d’ailleurs cet été que l’Union africaine avait voulu le porter candidat de combat, l’an dernier, à la présidence de la très américaine Banque mondiale. La Côte d’Ivoire ne lui aurait tout simplement pas transmis la proposition!       

Au moment où l’affaire des filatures allait éclater il y a un an, Tidjane Thiam était aussi largement pressenti pour succéder à Christine Lagarde à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Un fief européen cette fois, qui eût été tout à fait à sa portée. Mais il était trop tôt pour quitter Credit Suisse… Aujourd’hui, c’est trop tard.

Alors il se contente d’avoir été nommé, par l’Union africaine, coordinateur dans la gestion des fonds Covid-19 de la communauté internationale. Une tâche qu’il semble prendre très à cœur. N’est-ce pas dans l’unité africaine que Tidjane Thiam a sans doute le plus à donner?

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