Jamais, dans l’histoire du sport, un champion n’avait suscité une telle admiration chez les artistes et les intellectuels. Quatre d’entre eux témoignent, avant Wimbledon.

 

Thomas Sotto est l’un des présentateurs vedettes de France 2. Professeur de philosophie, André Scala a écrit des essais sur Spinoza et Kant notamment. Metteur en scène de théâtre, Denis Maillefer dirige la Comédie de Genève. Pierre Ménès est l’un des consultants foot les plus redoutés de France. Si différentes, ces quatre personnalités partagent un point commun: l’admiration sans borne qu’ils portent à Roger Federer. Aucun autre champion n’a à ce point fasciné les artistes et les intellectuels. Après son retour si médiatisé à Roland-Garros, le Bâlois visera un 9e sacre à Wimbledon à la fin de ce mois.

Le livre que Thomas Sotto a écrit sur le Bâlois intitulé «Une aventure nommée Federer» a connu un tel succès qu’il vient d’être réédité en poche, juste avant Roland-Garros. Outre des témoignages, des analyses, le journaliste y raconte comment, après des années d’essai, il a enfin pu réaliser son rêve: interviewer le maître. «Plus qu’une patte, Federer est une griffe aujourd’hui, qui plaît bien au-delà du cercle des fans de tennis. Il est devenu totalement iconique. S’il a un mental d’acier, il reste toujours dans le jeu et c’est en quoi il est unique. Par son attitude, il est le pote qu’on aimerait avoir tout en restant totalement intouchable.»

Le Bâlois a aussi inspiré un livre intitulé «Les silences de Federer» au philosophe André Scala. Il s’y extasie sur le jeu tout en dépouillement du Bâlois, une épure quasi mystique à ses yeux. Il le raconte avec beaucoup de poésie. «Federer, écrit-il notamment, est un plasticien, une sculpture de soi. Il est absorbé, antithéâtral, il ne grimace pas, ne hurle pas, il oppose une esthétique de la grâce à une esthétique de l’expressivité.» Le philosophe compare aussi le jeu du Bâlois à celui de Nadal, son vieil ennemi. «La raquette de Nadal est une main qui travaille, qui transforme la balle en boulet. La main de Federer est une simple surface de percussion, qui frappe sans saisir, silencieux, vertical, vif, léger, lumineux, il touche mais ne prend pas. Le court, avec lui, est un pur ailleurs.»

«J’ai écrit ce livre comme les poètes lyriques chantaient les exploits des sportifs cinq siècles avant Jésus-Christ» nous glisse André Scala. Si Federer, selon le philosophe, fascine à ce point, c’est parce qu’avec lui «les choses coulent, totalement limpides, par opposition à nos vies qui sont toutes heurtées, Federer agit sans faire.» André Scala estime pourtant que le Bâlois est un personnage plus complexe qu’il n’y paraît. «La plupart de ses défaites ont quelque chose de tragique, car souvent il se bat lui-même, comme lors de sa défaite de Wimbledon l’an dernier contre Kevin Anderson, alors qu’il menait deux sets à zéro. C’est comme s’il avait un démon en lui.»

Denis Maillefer a écrit et mis en scène «In love with Federer», une pièce qui s’est taillé un joli succès en Suisse romande. «C’était comme une plaisanterie d’étudiant, l’œuvre d’un fan transi, un peu naïf. Dans la salle, en plus des habitués du théâtre, il y avait plein de fans de Federer affublés de leurs écharpes. Jamais une de mes pièces n’avait connu un tel retentissement» sourit le jeune auteur. Pourquoi, à ses yeux, le Bâlois est-il à ce point un champion hors norme? «Il allie le geste au résultat, un peu comme Johan Cruyff le faisait en football. Ce qui reste, au-delà des résultats c’est le jeu. Federer cultive une certaine idée de l’harmonie, il est toujours dans l’instant, en équilibre.»

Dans une interview à la RTS, Maillefer comparait Federer à «un danseur qui se met devant une glace pour inventer le coup parfait qu’il n’a encore jamais fait.» Mais selon le metteur en scène, le Bâlois s’est lui-même condamné à une sorte de prison. «Ce qu’il fait n’est jamais assez beau et le court est le seul endroit où il s’exprime.» De tous les exploits du maître c’est, aux yeux de Maillefer, son retour gagnant à l’Open d’Australie, après six mois d’absence, qui reste le plus marquant. «C’était inimaginable. Il avait réinventé son jeu, son revers avait changé. Il était encore plus fort qu’avant.»

Autre fan absolu, Pierre Ménès partage l’avis de Maillefer au sujet du plus bel exploit du Bâlois. «Combien de fois a-t-on dit qu’il ne gagnerait plus de Grand Chelem, qu’il ne reviendrait jamais sur terre battue, or, il a tout balayé.» Connu pour son humour cinglant et ses coups de griffe, le journaliste français se transforme en groupie quand il évoque Federer, dont il ne rate jamais un match, même en pleine nuit. «Roger fait partie de ma vie. Jamais je n’ai ressenti cela pour un autre champion. Avec lui, je perds tout sens commun. Il est tout ce dont on peut rêver dans le tennis. La variété du jeu, la précision, un coup droit si classique et si beau. Le moindre de ses amortis me bouleverse. Je regarde chacun de ces matches comme si c’était le dernier.» Pourtant, Pierre Ménès ne croit pas à l’image d’Epinal du simple bon père de famille, toujours calme et souriant. «On ne peut pas jouer à ce niveau à 38 ans en étant un mec normal, non, Roger, sur le court, c’est un requin.»

Longtemps malade, Pierre Ménès avait fait son retour à l’antenne pratiquement en même temps que Federer à Melbourne, si bien que les internautes avaient comparé leurs destins en parlant de résurrection. De toute sa carrière, le journaliste n’a pu parler qu’une seule fois au Bâlois, c’était en novembre dernier dans les coulisses du tournoi de Bercy. «Roger m’a reconnu tant j’ai parlé de lui dans les médias. Il m’a pris dans ses bras en en me demandant comment j’allais. J’étais très touché.»

Roger Federer fêtera ses 38 ans le 8 août prochain. Malgré une forme étincelante, la retraite s’approche, inéluctable. Ses quatre admirateurs s’y résignent non un sans un pincement au cœur. «Je lui souhaite simplement d’être heureux dans sa future vie même s’il laissera un grand vide» résume Thomas Sotto.

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