Le Thurgovien Hans Ulrich Obrist a été classé à deux reprises par Art Review en tête des 100 personnalités les plus influentes de l’art contemporain.

Il a à son actif plus de 350 expositions. Dessine-t-il? Peint-il? Sculpte-t-il? Pas du tout. Hans Ulrich Obrist est curateur. Il monte les expositions des autres. Il a 23 ans lorsqu’il s’y essaie pour la première fois, dans sa cuisine d’étudiant à l’Université de Saint-Gall! L’espace de trois mois, il comptera 29 visiteurs… Pourtant, des artistes de renom lui prêtent déjà leur concours: Christian Boltanski, Peter Fischli et David Weiss, Richard Wentworth, notamment. C’est que depuis l’âge de 16 ans ce natif de Weinfelden, en Thurgovie, n’a de cesse de rencontrer les grandes figures de l’art vivant. Et surtout de visiter leurs ateliers. Sa première visite est pour Claude Sandoz, à Lucerne. Jusqu’ici il n’a jamais pris le train seul.

Dès lors, les horaires CFF n’ont plus de secret pour lui. «J’ai commencé à prendre le train de nuit pour aller un peu partout en Europe, à Rome, à Cologne, à Vienne», se remémore-t-il dans «Une vie in progress», l’autobiographie qu’il vient de publier. C’est pourtant à Zurich qu’il fait «la visite la plus cruciale de [sa] vie»: l’atelier de Fischli & Weiss. «C’est un peu là que je suis né, ou né à nouveau, en mai 1985.» Il a alors 17 ans. «Au début, j’étais juste un adolescent passionné d’art, et ça a suffi à m’ouvrir les portes, mais ensuite j’ai pu faire valoir l’amitié des artistes que j’avais déjà rencontrés, et tout s’est accéléré.» Faisant l’école buissonnière, il est même reçu à Cologne par le célébrissime Gerhard Richter. Qu’il retrouve plus tard à Sils-Maria, dans les Grisons, et auquel il propose d’exposer des photos dans la maison de Nietzsche. Aussitôt dit aussitôt fait. «Ça m’a renforcé dans l’idée qu’on peut impulser des expositions ailleurs que dans le monde réservé explicitement à l’art.»

D’un accident de voiture dont il a été victime enfant, Hans Ulrich Obrist conserve un sentiment d’urgence absolue. Il traite désormais chaque journée comme si ce pouvait être la dernière. À un moment donné, il décide que le sommeil est une perte de temps. «Alors, j’ai commencé à commander sans cesse des cafés, partout, pour me maintenir éveillé.» Une bourse de la fondation Cartier, près de Paris, lui permet de croiser aussi bien Issey Miyake que Patti Smith. Et de rencontrer Suzanne Pagé, la directrice du Musée d’art moderne, qui lui propose un mandat. Du Trocadero à Londres, il n’y aura qu’un pas. Une première exposition lui est proposée à la Serpentine Gallery, haut lieu de l’art contemporain dont il deviendra codirecteur.

Hans Ulrich Obrist élargit constamment son horizon. Il place sur Instagram des citations de poètes, d’artistes, d’architectes. Plus de 5000 posts déjà avec 250 «cadavres exquis» impliquant près de 400 artistes. Confiné en Suisse par le Covid, il fait une fois de plus de nécessité vertu et continue ses visites d’atelier par Zoom: 210 visites en 2020! Mais sa grande préoccupation demeure l’interdisciplinarité. Il collabore avec des plasticiens, des écrivains, des chorégraphes, des scientifiques même. Associer l’art et la technologie lui paraît être un nouveau défi. Raison pour laquelle la Serpentine Gallery s’adjoint un «curateur digital», voire une «curatrice écologique». Mais en cette année 2023 une nouvelle aventure s’amorce: les jeux vidéo. Selon lui, «les jeux vidéo sont au XXIe siècle ce que les films étaient au XXe siècle et les romans au XIXe

Hans Ulrich Obrist, «Une vie in progress», éd. Seuil, 240 p., CHF 35.70

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