Après «Home» et «L’enfant d’en haut», la réalisatrice franco-suisse Ursula Meier nous épate encore. Son film «La ligne» prend aux tripes. D’une intensité incroyable, les images se gravent dans notre esprit, les dialogues nous touchent au cœur.
Ursula Meier dépèce toutes les facettes de la nature humaine, déchirures intérieures, abîmes profonds… «Il n’y a rien qui m’intéresse plus au monde que d’explorer l’âme humaine», disait Charlie Chaplin. Ursula Meier a été frappée par la même grâce. Et son film vient d’être nominé à cinq reprises pour les prix du cinéma suisse: meilleur film, meilleur scénario, meilleure interprétation féminine pour Stéphanie Blanchoud, meilleur second rôle pour Elli Spagnolo et meilleure musique aussi pour Stéphanie. La Suisse rend hommage à l’immense talent de la réalisatrice. Paris Match l’a saisie au vol entre deux obligations… Le temps d’avaler un verre d’eau et Ursula se confie. La conversation oscillera entre pudeur et ferveur.
Vous aimez tourner en Suisse, est-ce sentimental ou pour des raisons strictement liées à votre art cinématographique?
Il est vrai que j’aime tourner en Valais. L’espace et la topographie des lieux peuvent être parfois surprenants dans leur hétérogénéité et leur mixité aussi d’un point de vue social. Cela me permet de décoller du réel et d’inscrire mes films dans quelque chose de plus universel. Pour mon film «La ligne», j’ai choisi Le Bouveret, au bout du lac, des maisons simples non loin de plus cossues, des tours HLM, une marina, une pêcherie, des chantiers navals… et les paysages sont si différents à peu de distance, entre morne plaine, montagnes majestueuses au loin, canal…
Vous vivez à Bruxelles, n’avez-vous jamais été tentée de vous installer en Suisse romande?
Je séjourne souvent dans notre chalet familial. Le fait qu’il domine le lac me donne le sentiment de prendre de la hauteur par rapport aux choses de la vie. Je m’y ressource. C’est mon équilibre. Le reste du temps, je vis à Bruxelles. La douce folie de cette ville me nourrit. Elle est tellement conviviale. Sans se connaître, on se parle dans les cafés. C’est chaleureux. Un jour alors que je prenais le tram avec un grand bouquet dans les bras (je venais d’être distinguée pour mon travail) les gens m’ont posé la question: «Pourquoi ces jolies fleurs»? et nous avons commencé à échanger joyeusement. Je me rends aussi régulièrement dans notre maison de production à Lausanne «Bande à part Films». C’est l’occasion d’échanger entre cinéastes. On refait le monde. Tout cela est assez unique et beaucoup nous envient cette belle amitié, car notre métier est, malgré les apparences, assez solitaire.
Comment choisissez-vous vos comédiens? Époustouflant, ce don.
Pour le premier contact avec de jeunes comédiens-nes, je leur demande de simplement regarder la caméra sans aucune expression. Juste une présence neutre. Une grâce s’installe, indicible. On sait tout de suite si la caméra les aime. Ensuite, il y a le travail.
Pour mon film «Home», j’ai eu énormément de chance. Je n’avais pas imaginé qu’une des plus grandes actrices françaises, Isabelle Huppert, allait me dire oui. Quant à Stéphanie Blanchoud, j’avais déjà réalisé un clip pour elle, assisté à ses spectacles et je connaissais son attrait pour la boxe. C’était donc une évidence.
Travailler avec des enfants, des adolescents ce n’est peut-être pas évident…
J’aime beaucoup travailler avec les enfants. Leur spontanéité, leur immense sincérité et parfois cette rage violente qui les habite, c’est passionnant. Il faut justement veiller à garder cette spontanéité tout en leur donnant des outils de jeu, en leur faisant prendre conscience qu’ils peuvent jouer avec leur corps tout entier, leur voix, leur souffle…
Benjamin Biolay dit que vous êtes douce et déterminée. Empathique, proche de vos personnages, vous les comprenez… cela veut dire que vous les aimez aussi…
Je les aime tous! C’est la fragilité, les fractures de mes personnages qui m’intéressent. Comme cette mère (jouée par Valeria Bruni Tedeschi) qui entretient une relation toxique avec ses filles. Même si ça l’arrange de faire porter l’échec de sa carrière de pianiste à ses filles, elle sait au fond qu’elle ne doit son échec qu’à elle-même. Elle se débat à sa manière avec son besoin impérieux et insidieux de reconnaissance sans ne jamais se remettre en question. Son personnage me touche par sa désespérante vulnérabilité.
Pourquoi vouloir tant explorer l’âme humaine?
Parce que c’est la plus grande aventure de la vie! Percevoir ce qui émane de l’autre. Filmer, c’est traverser le corps, la peau, se plonger dans la chair au plus profond de l’être humain.
Vous abordez la religion dans votre film. Êtes-vous croyante?
J’ai surtout une forme de foi en l’humanité et aussi dans le cinéma. Ma croyance est plus spirituelle que religieuse. Lorsque je filme, je peux, lors de très brefs instants, le ressentir. Je distingue clairement qu’il y a quelque chose de plus haut que soit. Je pense avoir un rapport mystique au cinéma. La grâce de cinéastes comme Bresson ou Dreyer m’a éblouie. Pour la petite Elli Spagnolo (Marion dans le film, personnage qui demande de l’aide à travers ses prières) une forme de beauté divine émanait d’elle qui la propulsait vers le monde de la spiritualité. Elle m’a raconté: «Quand on a dit ‹moteur, action› j’étais totalement croyante, je croyais en Dieu comme le personnage et après quand la scène était terminée, à ‹coupez›, plus du tout».
Vous parlez peu de votre vie personnelle… Êtes-vous en couple?
Je suis très pudique lorsqu’il s’agit de moi. Il m’est difficile de parler de ma vie. Je peux simplement vous confier que je suis épanouie sur le plan privé. Mon petit garçon de 3 ans et demi fait mon bonheur.
Quelle relation entretenez-vous avec votre mère?
C’est tout l’inverse de ce que je mets en scène dans mon film. Je suis très proche d’elle. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les familles dysfonctionnelles suscitent tant mon intérêt? J’ai reçu un amour inconditionnel de mes parents. Cet amour-là est un socle, une force… cela a fait naître en moi la passion. Cette chance a certainement déclenché chez moi un intérêt pour les dysfonctionnements sournois des familles et ma curiosité à les décortiquer.
Quelle serait l’épreuve la plus difficile que vous ayez traversée…
Elle est récente. J’ai perdu mon père il y a quelques mois. Un vide abyssal.
Et la chose la plus heureuse qui vous soit arrivée…
La naissance de mon fils! Et aussi la chance de pouvoir faire des films. Plonger dans l’âme humaine est passionnant.
Petite fille déjà, le monde imaginaire «autrement» vous attirait?
Enfant, j’aimais me transporter dans mon monde imaginaire. J’ai mis beaucoup de temps à m’adapter au système scolaire en place. Par chance, comme j’étais très forte en mathématiques, j’ai pu continuer à plonger dans mes visions décalées, tout en étant une bonne élève. S’il fallait décrire quelque chose, je regardais «par-dessous» ou sous un angle singulier qui m’était propre. Ce n’était pas du tout volontaire de ma part. Lorsque j’ai fait une école de cinéma, j’ai pu retrouver l’enfant que j’avais dû faire taire en moi et regarder le monde avec ce regard décalé.
Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours?
Je suis une grande dormeuse. Enfant, il n’était pas nécessaire de me pousser à aller au lit, j’y allais spontanément. J’adorais aller dormir! Je fermais les yeux et je me transportais dans des rêves assez fous, j’étais comme au cinéma. Nous étions quatre enfants dans notre famille. J’étais la petite dernière. Je me souviens de nos dimanches un peu à part. Nous prenions notre petit-déjeuner en pyjama et les discussions animées se prolongeaient jusqu’à midi, puis jusqu’au soir sans décoller de la table à part pour changer les couverts! J’ai adoré ces moments, mais j’avais aussi besoin de grandes plages de solitude.
Dans quel contexte écrivez-vous le mieux?
Lorsque je suis en coécriture avec mon coscénariste Antoine Jaccoud, tout simplement assise à une table en face à face dans un lieu neutre. Lorsque je travaille seule, le lit est souvent mon refuge, j’aime écrire dans cette ambiance douillette. Le cocon me rassure.
Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir en temps normal?
Mon petit garçon alors qu’il a toujours très bien dormi et ce depuis qu’il est bébé, une chance! À l’heure actuelle, j’ai plutôt un sommeil dense et des rêves très puissants et chamboulants. Je rêve éveillée! Une belle source d’inspiration.
Avez-vous des remords ou des regrets?
Je ne suis pas quelqu’un à «regrets». Même si je suis très mélancolique, j’essaie d’avancer en regardant devant et en prenant à chaque fois de nouveaux risques à chaque projet de film.
Quelle souffrance pourriez-vous ressentir aujourd’hui?
Une souffrance liée au sentiment d’un monde qui disparaît et un autre qui apparaît. Notre époque est charnière. Tant d’hommes et de femmes admirables ont disparu dernièrement: Tanner, Godard, Klein, Varda, Trintignant… C’est un monde qui rentre sous terre. Je reste positive, mais je constate la fin d’une époque qui a été importante pour moi, une génération qui m’a donné envie de faire des films. Mais j’ai foi en l’humanité! Sinon je ne la filmerais pas.
Vous en êtes où aujourd’hui sur le plan personnel, vous avez trouvé votre équilibre?
Je suis épanouie, passionnée et je crois, j’espère, intègre. J’essaie de ne pas céder à la facilité, à ne pas chercher à plaire à tout prix, et être la plus sincère dans ce que je fais. C’est pour moi la chose la plus importante.
Votre fils a certainement contribué à votre épanouissement…
La naissance de mon fils m’a donné une deuxième vie! Même si je suis devenue mère plutôt tard. Je redécouvre le monde avec des responsabilités très fortes liées à la maternité. Mon fils est curieux de tout, il bouffe la vie. Il me donne une force incroyable, c’est une chance folle et une joie indicible. C’est très puissant!
Parlons gourmandise. Quel est votre rapport à la nourriture, du bout des lèvres ou avec excès?
Plutôt avec excès!
Un plat qui vous fait craquer?
Le chicon gratin (gratin d’endives), mais rien ne me fera plus plaisir qu’un plateau de fruits de mer…
Quel vin préférez-vous?
La Petite Arvine quand je suis en Suisse et sinon, depuis un moment, je voue une passion pour un vin de la Loire, le Menetou-Salon.
Pensez-vous entretenir une relation saine avec l’argent?
Je crois oui, du moins je l’espère. Rien de pire que l’avarice. J’ai la chance de vivre avec quelqu’un d’une immense générosité.
On vous imagine cigale ou fourmi?
Fourmi.
Avez-vous des goûts de luxe?
Pas particulièrement à part pour les plateaux de fruits de mer accompagnés d’un bon Sancerre! Et j’avoue avoir un petit faible pour le champagne. Il y a toujours quelque chose à fêter!
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