Avec le Covid-19, les fondations de l’immobilier sont-elles en péril ? Interview exclusive du grand manitou de l’immobilier, Bernard Nicod.

PARIS MATCH SUISSE. Les fondements de l’immobilier pourraient-ils s’écrouler?

BERNARD NICOD. Non, à moins que l’économie mondiale ne s’écroule, l’immobilier ne va pas s’écrouler.  Outre notre besoin de logements, je suis convaincu qu’à terme, le commerce ne sera jamais à 100% virtuel. Pensez aux hôtels, épiceries, garages, restaurants, etc. Je crois au contraire que la pierre est et restera le meilleur des placements. On pourrait même dire que dans la tourmente, la pierre reste de marbre, même s’il peut y avoir quelques soubresauts ci et là.

Les loyers commerciaux sont-ils déjà en péril?

Parler de péril me semble prématuré. Nombreux commerces traversent actuellement une période très difficile et, en collaboration avec les propriétaires de locaux commerciaux, nous cherchons des solutions, chaque cas devant être traité individuellement. Cela étant, plus la durée de ce confinement sera longue, plus la situation risque de devenir périlleuse.

Et les loyers d’appartements ou de maisons?

Il n’y a pas péril en la demeure. Tout le monde a besoin de se loger. Toutefois, si la situation perdure, il est vraisemblable que certains locataires risquent d’avoir des difficultés pour s’acquitter de leur loyer. Il faudra alors aussi examiner la situation de cas en cas, en tenant compte des mesures d’aide financière offertes par la Confédération et les cantons. Je rappelle ici que les loyers perçus permettent aux propriétaires d’assumer les frais courants, c’est-à-dire la conciergerie, l’entretien,  l’eau, l’électricité, les intérêts hypothécaires et les amortissements exigés par les banques. Si on interrompt la chaîne des paiements, on favorise l’effet domino qui est le risque suprême pour notre économie!

Conseillez-vous à certains propriétaires de baisser les loyers?

Une baisse des loyers n’est pas une bonne solution, ne serait-ce que pour les raisons évoquées plus haut. Nous conseillons à nos clients d’examiner chaque cas individuellement et, si possible, de trouver un arrangement temporaire, de préférence sous forme de facilités de paiement.

Que se passe-t-il pour les locataires devant prendre possession de leur appartement?

Lorsque les déménagements n’ont pas été reportés, nous nous en tenons strictement aux directives, notamment de l’Office fédéral de la santé publique. Nos techniciens disposent donc de masques, gants et produit désinfectant. Ils établissent les protocoles de sortie et d’entrée seuls dans les locaux; le locataire sortant prend alors connaissance de l’état des lieux, rédigé sur tablette et le signe. Il quitte ensuite les lieux pour laisser place au locataire entrant.

Les ventes sont-elles déjà freinées et certains attendent-ils la fin de la crise pour faire des offres d’achat à la baisse?

Les transactions sont fortement réduites, ne serait-ce que parce que les visites ne peuvent plus se faire comme auparavant. Certains semblent aussi miser sur une légère baisse de prix. Mais, les fins renards cherchent déjà à acquérir, car si la demande est moins soutenue depuis quelques semaines, l’offre reste importante et les opportunités intéressantes. Lorsque nous aurons surmonté la crise, celles et ceux qui auront trop attendu ne pourront que constater qu’ils arriveront sur le marché alors que le train a déjà quitté la gare.

Dans cette période critique, les banques s’impliquent-elles suffisamment?

Si je suis particulièrement impressionné par notre ministre des Finances, Ueli Maurer, qui a pris des mesures immédiates, efficaces et dénuées de bureaucratie, je le suis moins par l’implication de nos banques, les deux principales notamment. Elles ont certes immédiatement accepté d’apporter leur soutien au Conseil fédéral et ont mis du personnel à disposition des PME pour que les crédits demandés puissent être octroyés rapidement. Toutefois, en ce qui concerne les demandes de crédit dépassant 500 000 francs (qui eux, ne sont garantis qu’à 85% par la Confédération), elles pratiquent des taux d’intérêt fixés individuellement, en fonction de ce qu’elles estiment être leur risque et peuvent refuser tout crédit, sans avoir à fournir de justification. Bref, alors que les conseillers fédéraux Maurer et Parmelin sont actifs, dynamiques et constructifs, elles sont réactives, plus intéressées, semble-il, à être sauvées par l’Etat en cas de pépin, qu’à sauver les entreprises lorsque ces dernières sont en danger. Comme le disait Mark Twain: «Le banquier est quelqu’un qui vous prête un parapluie lorsque le soleil brille et vous le retire aussitôt qu’il pleut.»

Vos chantiers sont-ils partiellement ou complètement à l’arrêt?

Respectant strictement les directives et recommandations de l’Office fédéral de la santé publique, nous avons cessé toute activité sur nos 14 chantiers le 20 mars. Quatre chantiers ont été rouverts le 30 mars et cinq autres le seront le 6 avril, toujours dans le respect le plus absolu des directives et en protégeant nos collaborateurs de manière adéquate. Les autres chantiers restent pour le moment fermés. Cela ne va évidemment pas sans poser de sérieux problèmes, mais j’aimerais néanmoins saluer ici le remarquable travail accompli par le conseiller fédéral Alain Berset et ses équipes. La crise que nous traversons nous a permis de découvrir en lui un véritable homme d’Etat.

Vos collaborateurs travaillent-ils tous à distance?

Nos 248 collaboratrices et collaborateurs ont reçu des directives claires. Dans la mesure du possible, nous privilégions le télétravail, mais il est évident que certains collaborateurs doivent se déplacer, ne serait-ce que pour des états des lieux. Toutefois, ils le font dans le respect strict des recommandations de l’OFSP et en étant protégés.

Assurez-vous les salaires ou sont-ils au chômage technique?

Nous assurons la grande majorité des salaires et seules quelques rares personnes sont au chômage technique ou partiel.

Pensez-vous que cette crise pourrait mettre votre Groupe en péril?

Non. Cela fait deux ans que je m’attends à de sérieuses difficultés sur lesquelles je me suis déjà exprimé dans les médias, notamment en rapport avec l’inadéquation croissante entre la demande et le volume de nouvelles constructions dans certaines régions du pays. Le Covid-19 a évidemment exacerbé ces problèmes et la situation est exceptionnellement difficile. Mais notre Groupe – qui a fêté ses 40 ans l’année dernière – est très solide et nous avons la chance de pouvoir compter sur des collaboratrices et collaborateurs de qualité, supermotivés.

Personnellement et philosophiquement parlant, que pensez-vous de cet événement inattendu?

Bien que la situation soit très grave, souvenez-vous qu’en mandarin, le mot «crise» est composé de deux caractères. Le premier signifie «danger», le second «opportunité». Les difficultés actuelles ne m’empêchent pas de voir qu’un nouveau XXIe siècle, plus humain et plus équilibré est en train de naître. J’adore les sérénades que font les gens sur leurs balcons et notamment nos amis italiens qui nous chantent chaque soir du Giuseppe Verdi comme si nous étions à la Scala! Enfin de la solidarité et cela, sans smartphones et ordinateurs! Que de la joie! Et quel plaisir de voir que l’on réapprend à dire merci à celles et ceux qui travaillent dur et prennent des risques pour le bien-être de tous.

D’après vous, comment ressortirons-nous de cette crise sanitaire historique?

Tout va dépendre de la durée de celle-ci. Si elle prend fin d’ici l’été, il y aura certes de la casse et de la misère, mais incomparablement moins que si nous devions faire face à une deuxième vague et alors, je crains que ce ne soit une véritable descente aux enfers.

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