Paléo, les coulisses du succès
Paris Match Suisse |
Créer et faire vivre une ville éphémère de 50 000 festivaliers, c’est le défi que relève cette année encore Daniel Rossellat et l’équipe du Paléo Festival sur la plaine de l’Asse à Nyon. Une armée de 5000 personnes est sur le pied de guerre.
Ce jeudi 21 juin, à moins d’un mois du lancement officiel de l’édition 2018, le montage a débuté sous un soleil de plomb. Quatre-vingts personnes s’affairent déjà sur site en plus des soixante employés à l’année, une des équipes de permanents les plus étoffées des festivals européens. Les cuisines sont installées pour permettre la distribution de 50 000 repas aux quelque 4800 bénévoles attendus durant 8 semaines (montage, festival, démontage). Les premiers chapiteaux se dressent et l’aménagement de l’espace dédié aux quelque 9000 campeurs est en cours. Suivront l’installation des barrières, toilettes, stands, billetteries, ainsi que l’ensemble des prestations à une échelle toujours inégalée en Suisse, Paléo tenant le haut du pavé depuis plus de quatre décennies. Une performance, compte tenu de l’explosion du nombre de festivals en Suisse romande, qui affiche une des plus fortes concentrations d’Europe en la matière. Ainsi, le site routedesfestivals.com ne liste pas moins de 170 festivals romands en 2018.
«Eviter l’arrogance et la paresse»
Malgré cette concurrence exacerbée et l’effervescence ambiante, Daniel Rossellat apparaît détendu. Chemisette estivale, sourire bienveillant, le fondateur de Paléo – figure incontournable du paysage nyonnais – affiche sa confiance. Les chiffres parlent pour lui. Comme chaque année depuis 20 ans, le festival affiche complet, avec 230 000 billets vendus dans les quelques heures suivant l’ouverture des billetteries physiques et online en avril. Pour Daniel Rossellat, la fidélité sans faille du public explique en grande partie ce résultat: «98% des gens qui sortent de Paléo affirment leur volonté de revenir l’année suivante. Nos billets sont vendus le jour même, sans aucune affiche promotionnelle. Paléo a une forte dimension sociale, c’est un endroit où les gens se retrouvent.»
Les 10 000 abonnements vendus à Noël alors qu’aucun artiste n’est dévoilé semblent confirmer cette particularité sociale, accentué par un ancrage local très fort, avec près de 88% de Romands sur site. De quoi s’endormir sur ses lauriers? Une éventualité que Daniel Rossellat écarte sans ménagement: «Le succès n’est pas fidèle, il faut absolument éviter l’arrogance et la paresse. L’effort se concentre sur la qualité de l’expérience du festivalier, avec des équipes dédiées à évaluer par exemple les délais d’attente à l’entrée, aux toilettes ou aux bars, pour s’assurer que nous tenons nos standards.» D’autant plus que la concurrence n’est pas indolore pour le festival, le budget «spectacles» atteignant désormais les 7 millions – + 50% sur 15 ans – sur 27 millions de budget total. En cause, la «hausse des exigences techniques et une demande supérieure à l’offre», selon Daniel Rossellat, plusieurs grands festivals européens se produisant désormais sur la même date. Une inflation répercutée sur le prix du billet.
Renouveler le public
En conséquence, pour garder son attractivité et attirer les nouvelles générations, Paléo Festival s’efforce de rester à la page. Une équipe large – un webmaster, le service de presse, un responsable de la promotion, auxquels s’ajoutent 3-4 stagiaires – gère toute la stratégie communication. Doubles-unes dans les quotidiens romands et relais média restent nécessaires mais ne suffisent plus, selon Michèle Müller responsable du service de presse de Paléo: «Pour continuer à créer l’événement, il faut toucher tous les publics. Notre force est d’avoir su utiliser très tôt les outils numériques, et créer notamment une forte communauté sur les réseaux sociaux.»
De fait, la communauté atteint 155 000 membres sur Facebook, et 22 000 sur Instagram. Les premières images prises depuis un drone des débuts du chantier totalisaient 4000 vues en quelques heures. Le grand JD, un des plus influents youtubeurs suisses avec près de 2 millions d’abonnés, reviendra cette année se mettre en scène sur site. «C’est un atout promotionnel indéniable, relève Michèle Müller, car il connaît très bien le festival. L’enjeu est de savoir raconter une histoire, et la décliner sur tous les supports.»
Une attractivité qui favorise les partenariats
Rester en phase avec son époque nécessite d’innover. Le paiement sans contact sera possible aux bars cette année, dans l’espoir d’améliorer les délais d’attente, et un système de billetterie sécurisée et traçable via la technologie blockchain (voir encadré) est à l’étude. Pour ce dernier, complexe et coûteux, un contrat a été conclu avec la société Secutix, qui développe la technologie sans la facturer et utilise en contrepartie Paléo comme terrain de test grandeur nature. Au bénéfice de sa dimension et de sa forte attractivité, Paléo limite ainsi ses coûts de sous-traitance en offrant de la visibilité à des partenaires contre investissement. 100% de l’électricité verte est fournie par Romande Energie, et la HES-SO fait travailler chaque année 300 élèves sur un projet d’envergure exposé sur site. Coût de l’opération: 300 000 francs de contre-prestations à la charge de la Haute école. Toutefois, pour Luciana Vaccaro, rectrice, le jeu en vaut nettement la chandelle: «Pour les étudiants, le projet permet de travailler en équipe multidisciplinaires et réaliser un projet en condition réelle, comme dans le vraie vie, avec les contraintes de temps, climatiques… De plus, en termes de visibilité, ce sont chaque année 30 000 à 50 000 personnes qui participent aux activités sur le stand.»
Entre fidélité à la tradition et innovation, le chemin de crête est étroit, et Daniel Rossellat s’efforce de garder le cap: «On avait songé au système cashless, avec des bracelets pour payer, mais on s’est rendu compte que c’était avantageux pour tout le monde… sauf les festivaliers. Alors on a abandonné. L’enjeu est de bien doser l’innovation, le public a quand même besoin de repères forts.»
Lutter contre le marché noir
Billets revendus à la sauvette jusqu’à 200 francs, contrefaçons, soupçon de spéculation, le marché noir autour des billets ternit l’image de Paléo. Pour y répondre la technologie blockchain est testée, pour tenir une base de données publiques, sécure et non corruptible des détenteurs. «Tous les transferts de billets seraient approuvés par Paléo, relève David Franklin, chargé en interne du projet. On pourrait ainsi édicter des règles de revente et permettre de rentrer avec une simple pièce d’identité». David Franklin estime toutefois que «maximum 500 billets» par soir se retrouveraient sur le marché noir.