Aviel Cahn, l’opéra n’est pas un musée!
Paris Match Suisse |
Au Qatar, on a du pétrole, du gaz et des idées! Avec les moyens que procurent les premiers, les secondes sont rapidement mises en œuvre. En prévision de la Coupe du monde de football de 2022, six stades sont en cours de rénovation et huit en construction, dont le Lusail Iconic Stadium (86 000 places) de Norman Foster, un habitant de la Côte vaudoise. Un Lausannois peut témoigner aussi du fulgurant développement de l’émirat. Déjà auteur d’une centaine de livres sur les grands architectes internationaux, Philip Jodidio a publié un superbe ouvrage sur la nouvelle architecture emblématique de Doha et un autre sur le célèbre musée d’art islamique conçu par I. M. Pei avec une muséographie de Jean-Michel Wilmotte, autre star de l’architecture internationale. Philip Jodidio signe maintenant l’album qui accompagnera l’ouverture au printemps prochain du nouveau musée national; un bâtiment de Jean Nouvel en forme de rose des sables.
Le pays est jeune, quand bien même des sites néolithiques témoignent d’une occupation humaine, il y a plus de 6000 ans! Mais c’est en 1940, date de la découverte des gisements pétroliers, et en 1971, année de l’accession à l’indépendance comme du début de l’exploitation du gaz, qu’il faut situer sa véritable naissance. En quelques décennies, pas moins de 160 tours sont sorties des sables! Une bonne centaine reste à construire. «C’est le Sheikh Saoud bin Mohammed Al Thani, ex-ministre des arts et de la culture, qui a eu l’idée de créer, à partir de 1997, un ensemble de musées de niveau international, parmi lesquels le Musée d’art islamique. C’est lui aussi qui passa commande à Jean Nouvel de la fameuse tour en forme de cigare de Doha. Mais l’institution faîtière Qatar Museums a été fondée en 2005 par l’ancien émir Hamad bin Khalifa Al Thani. Son épouse la Sheikha Moza s’est fortement investie dans l’éducation et la santé.»
Avec une vingtaine de séjours sur place à son actif, Philip Jodidio a une grande expérience du Qatar. C’est d’ailleurs la sœur de l’émir actuel qui lui a passé commande du livre sur le nouveau Musée national. La Sheikha Al Mayassa, actuelle «Chairperson» de Qatar Museums, a été désignée en 2011 par le magazine américain «Art & Auction» «personnalité la plus influente du monde de l’art». Elle aurait acheté pour 250 millions de dollars l’une de cinq versions des «Joueurs de cartes» de Cézanne. Une toile qui ornait la résidence de George Embiricos, à Jouxtens-Mézery! De toute évidence, les Qataris n’investissent pas que dans le Paris Saint-Germain et les chevaux. Même si le haras Al Shaqab compte pas moins de 800 pur-sang arabes dont le magnifique Marwan, propriété de l’émir, dont chaque éjaculation vaut 120 000 dollars. Le Qatar, pays de démesure…
Contrairement à la Suisse où les projets d’architecture doivent faire l’objet d’un concours public et sont sujets à référendum (voir le premier projet de Musée cantonal des beaux-arts, au bord du lac, à Lausanne), les autorités qataries choisissent souverainement leurs mandataires. C’est ainsi qu’en 1984 déjà le Japonais Kenzo Tange a été chargé de construire le ministère de l’économie; que le Néerlandais Rem Koolhaas a bâti la Bibliothèque nationale; l’Argentin César Pelli l’hôpital Sidra et que c’est à l’Anglo-Irakienne Zaha Hadid qu’a été confié le stade Al Wakrah (45 000 spectateurs). En prévision du Mondial, trois lignes de métro sont en construction.
Le blocus dont le Qatar fait l’objet de la part de l’Arabie saoudite et de ses alliés n’a pas réussi à déstabiliser le plus important producteur de gaz liquide. S’il a vu ses hôtels perdre une partie de leur clientèle, il a réussi à assurer son approvisionnement avec l’aide de la Turquie et de l’Iran. Une nécessité absolue: quasiment tout ce qui est consommé sur place doit être importé, jusqu’à la terre des pelouses! De vives polémiques entourent ses vastes chantiers, notamment sur les conditions de travail des innombrables ouvriers asiatiques. Mais Abou Dhabi, son grand concurrent des Emirats arabes unis, n’est pas épargné non plus. La construction d’un nouveau musée Guggenheim – qui s’ajoutera au Louvre Abou Dhabi – a mis également en lumière l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère.
Toujours est-il que pour humaniser ce vaste laboratoire d’architecture qu’est le Qatar, un grand effort culturel est marqué. A l’extraordinaire richesse des musées – ceux de l’art islamique et de l’art moderne arabe, le Mathaf – s’ajoutent des interventions artistiques dans les espaces publics. Sculptures géantes de Richard Serra, Louise Bourgeois, Tony Smith, Damien Hirst… mais aussi festival de la diversité culturelle, institut du film, résidences d’artistes à la «Fire Station»… Difficile de nier l’ouverture d’esprit dont font preuve les responsables politiques d’un Etat qui, pour le reste, demeure «bien pensant». Les musulmans convaincus d’homosexualité peuvent être condamnés à mort! Pour les non-musulmans, c’est sept ans de prison!
«Le Qatar travaille à la mise en place de l’économie d’après le pétrole, explique Philip Jodidio. L’ancienne génération est allée étudier en Angleterre et aux Etats-Unis. A l’intention des jeunes, six universités américaines ont été implantées à Education City.» La Bibliothèque nationale, toute de béton, de métal et de verre, a de quoi faire rêver les étudiants du monde entier. On doit très bien étudier à Doha. On s’y amuse moins… Pour s’amuser, c’est Dubaï… Reste à voir si, dans quatre ans, sous l’assaut des fans de foot l’émirat ne va pas se décoincer un peu.
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