Aquatis : L’objectif est atteint !
Paris Match Suisse |
Mis en cause notamment pour le prix du billet et sa gestion du personnel, l’aquarium vivarium d’eau douce lausannois est le plus grand d’Europe. Aquatis affiche après six mois d’ouverture une fréquentation supérieure aux objectifs. La jeune clientèle est au rendez-vous.
A l’entrée d’Aquatis ce vendredi, une accompagnante compte les élèves avant le début de la visite. Les classes sont nombreuses depuis l’ouverture à venir profiter d’une immersion au plus près des poissons d’eau douce, mais aussi reptiles et mammifères en provenance des cinq continents. Et pour cause.
Aquatis a développé une offre spécifique afin de courtiser et fidéliser ces jeunes clients. Tout au long du parcours entre les 42 aquariums – 2,2 millions de litres de capacité, dont plus de 1 million pour le seul «aquarium de l’évolution» – des scientifiques s’expriment via des projections sur les parois, sur l’histoire du Léman, le Cervin, ou encore la fonte des glaciers. Une salle pédagogique permet aux enfants de réaliser des expériences sur la filtration de l’eau ou encore de détecter grâce aux microscopes la présence des micropolluants.
Fréquentation au-delà des attentes
La stratégie semble payer. Sur les 240 000 visiteurs enregistrés durant les six premiers mois d’exploitation, les enfants et étudiants seuls représentent plus de 25% des entrées, les familles, près de 30%. Une fréquentation globale qui satisfait Bernard Russi, CEO du groupe Boas et d’Aquatis, qui tablait sur 450 000 visiteurs la première année, puis autour de 400 000 les années suivantes «passé l’effet de nouveauté». Ses objectifs ont été revus à la hausse: «Nous estimons désormais entre 480 000 et 500 000 le nombre de visiteurs à l’issue du premier exercice», détaille Bernard Russi, qui note une large part de clientèle française, italienne et allemande, beaucoup de Suisses alémaniques, et bien sûr la clientèle locale et romande qui est très présente.
Le prix du billet, 29 francs pour les adultes, 19 francs pour les enfants (gratuit avant 5 ans) ne semble donc pas pour l’instant avoir l’effet dissuasif anticipé par certains. En septembre 2017, une polémique avait éclaté autour de la cherté de la prestation, invoquée sur les réseaux sociaux et largement relayée dans les colonnes de la presse romande. Un reproche injustifié aux yeux de Bernard Russi: «Nos prix sont équivalents à ceux du musée Chaplin (26 francs l’entrée adulte, la différence s’expliquant par un impôt sur le divertissement de 14% propre à la ville de Lausanne, ndlr), alors que nos coûts d’exploitation sont beaucoup plus importants, puisque nous gérons du vivant.»
De lourds engagements à assumer
De fait, les coûts de personnel se montent à 2,3 millions par an, incluant notamment quatre scientifiques salariés par Aquatis, en plus des soigneurs, au total 30 équivalents plein temps, auxquels s’ajoutent 6,7 millions de coûts d’exploitation, en particulier pour gérer les 10 500 spécimens d’animaux accueillis à ce jour. Le coût total du complexe a dépassé les 100 millions –deux tiers pour Aquatis lui-même, et un tiers pour l’hôtel adjacent – occasionnant, pour l’aquarium uniquement, la budgétisation de deux millions d’amortissement par an.
Financé avec des fonds privés, le projet pensé au début des années 2000 comme un musée de l’eau, s’est d’abord enlisé entre mises à l’enquête, oppositions et procédures, avant de connaître un nouveau souffle au tournant des années 2010, avec l’élargissement de l’offre depuis les poissons vers l’ensemble de la faune et la flore et une communication rodée sur la conservation de l’environnement. La serre tropicale a été récupérée à la commune de Lausanne, tout comme le vivarium municipal, déficitaire, que Bernard Russi a intégré contre un prêt à taux zéro de 10 millions de la ville et du canton. «Au début, j’étais plutôt réticent, confie Bernard Russi, et il faut reconnaître que l’incorporation des reptiles nous a coûté les 10 millions que l’on nous a prêtés.» En revanche, le dirigeant se félicite de «l’enrichissement de l’offre», ainsi que du recrutement de l’ancien directeur du vivarium Michel Ansermet «un passionné, qui apporte beaucoup au projet».
Dépasser la controverse et travailler sur l’image
Dans les couloirs de l’aquarium, Michel Ansermet a d’autant plus le mot facile au visiteur qu’il s’exprime également en français, allemand ou anglais, et partage avec enthousiasme sa parfaite connaissance de la faune. En charge notamment des projets de sauvegardes des espèces menacées mené par Aquatis (voir encadré), il incarne la mission qu’affiche le centre autour de la préservation du vivant.
Dans l’organigramme d’Aquatis, Michel Ansermet est un revenant. Licencié avant l’ouverture en 2017 par Bernard Russi, ce dernier est venu le rechercher moins de neuf mois après. A l’époque des faits, Angélique Vallée-Sygut assumait la direction scientifique de l’établissement, qu’elle a depuis quittée. L’ancienne employée a mis en cause courant avril dans la presse régionale les méthodes de management d’Aquatis, qui auraient occasionné le départ de certains employés. «C’est un peu fort de sa part de nous accuser, alors que c’est elle qui a un problème avec les subalternes, se défend Bernard Russi, avec qui elle était plutôt glaciale. C’est sur son conseil que j’ai licencié Monsieur Ansermet, avant de comprendre mon erreur.»
Michel Ansermet confirme le comportement «plutôt distant» de son ex-supérieure, «qui m’a déçu» tout en admettant un climat général de tension précédant l’ouverture: «Deux heures avant l’ouverture officielle, on peaufinait encore les derniers détails. Certains employés bossaient plus de 10 heures par jour pour rester dans les délais, nous étions centrés sur les animaux et n’avions que peu de temps pour communiquer. Aujourd’hui les choses se sont normalisées, et nous avons notre rythme de croisière.»
Les premiers résultats prometteurs doivent désormais être confirmés. Parmi les projets en cours, deux salles seront dédiées à des expositions temporaires visant à fidéliser la clientèle. De nouvelles espèces vont prochainement rejoindre Aquatis. «Nous allons continuer à faire évoluer l’écosystème, et participer encore à davantage de programmes de sauvegarde, espère Michel Ansermet. L’aventure est lancée et nous allons grandir avec l’expérience.»
Animaux captifs ou protégés?
«Nous ne sommes pas juste une vitrine à poissons, une partie de nos espèces sont en danger. On cherche à sensibiliser les populations sur le capital vivant qui a mis 3,7 milliards d’années à se construire et est désormais menacé», martèle Bernard Russi, en réponse aux militants antispécistes, dont la présence lors de l’inauguration avait relancé la polémique sur la légitimité de la captivité des animaux. Aquatis travaille dans le cadre du programme européen de sauvegarde des espèces (EEP et ESB), notamment pour la reproduction du crocodile sacré, qui pourrait ainsi être réintroduit prochainement au Maroc, ou encore de la vipère de Chine, pourchassée pour son sang aux vertus réputées aphrodisiaques.