Bertrand Piccard: ses 1000 projets verts
Paris Match Suisse |
Entre une conférence a Marrakech et une visite au prince Albert, le « globe conférencier » Bertrand Piccard révèle sa nouvelle existence au service d’une planète propre.
Comment se déroule la troisième vie de Bertrand Piccard après ses deux tours du globe en ballon a air chaud, puis en avion solaire ?
Bertrand Piccard. Ces deux tours du monde n’étaient nullement un but en soi et n’étaient intéressants que parce qu’ils avaient une suite. Le succès n’est qu’une marche pour aller plus loin, pour être plus utile et plus impactant. C’était mon but dès le départ. Si j’avais la mentalité de m’arrêter sur un succès, je n’aurais jamais eu la capacité de réussir. Solar Impulse a toujours été une manière de promouvoir et crédibiliser les énergies renouvelables et les technologies propres. J’ai toujours dit, et personne ne me croyait, que l’aventure n’allait véritablement commencer qu’après l’atterrissage.
Aujourd’hui, vous avez un agenda de ministre …
Mes engagements m’amènent pratiquement chaque jour à un autre endroit. Entre la COP23 à Bonn en novembre et le Sommet de Paris en décembre avec Emmanuel Macron et son ministre Bruno Le Maire, j’ai participé à de nombreux forums consacrés aux technologies propres. Ce qui me permet de côtoyer autant de chefs d’état et de ministres, c’est que ma vision n’est pas politicienne. Elle est citoyenne sans être rattachée à un parti. Je parle d’environnement et d’écologie avec un langage de rentabilité et de création d’emplois. Ce qui manque au débat, c’est la compréhension qu’il est urgent de remplacer les vieux systèmes polluants et inefficients par des technologies propres. Cela représente le marché industriel du siècle.
Cela implique une organisation différente ?
L’équipe de Solar Impulse a compté 150 personnes. Maintenant, nous sommes 25 entre Lausanne, Paris et Bruxelles. Quatre personnes gèrent mon agenda et les voyages, six s’occupent de la communication et les autres sont au service de l’Alliance mondiale pour les solutions efficientes que je viens de créer avec la Fondation Solar Impulse. Mon but, c’est de réunir le plus possible de start-up, entreprises, laboratoires et universités qui présentent des solutions pour protéger l’environnement de façon économiquement rentable. Nous mettons nos membres en contact avec des experts et des investisseurs pour leur permettre de grandir. Avec un défi : trouver mille solutions rentables pour protéger l’environnement, et amener ce portfolio dès 2019 aux chefs d’état, institutions et entreprises en leur montrant que les technologies actuelles permettent d’être beaucoup plus ambitieux dans les objectifs environnementaux et les politiques énergétiques. On vit dans un système où le cadre légal est tellement laxiste que personne ne fait d’effort. Il faut à la fois une contrainte et un avantage individuel, à l’image des ampoules LED qui sont plus chers au départ mais hyper-rentables.
J’ai la chance d’avoir des parrains comme le prince Albert, Richard Branson, James Cameron, Hubert Reeves, Yann Arthus-Bertrand, etc
A combien de projets en êtes-vous aujourd’hui ?
A la moitié avec près de 500 solutions candidates, mais que l’on doit encore expertiser : des cellules solaires qui permettent d’obtenir simultanément un effet thermique et un effet voltaïque, de la chaleur et de l’électricité, et qui ont donc un bien meilleur rendement. Il y a aussi le boîtier d’une start-up que l’on branche sur une voiture pour produire de l’hydrogène qui est injecté dans la chambre de combustion et permet de réduire de 95% l’émission de particules, tout en réduisant la consommation de 25%. Une autre société a trouvé un système qui récupère de la chaleur perdue dans des blocs de céramique, que l’on transporte avec des containers isolés pour l’utiliser ailleurs. Notre association les aide à se développer et à les mettre en contact avec des investisseurs. Cela gratuitement grâce aux partenaires qui financent la fondation, comme BNP Paribas (Suisse), Nestlé, Engie, Air Liquide, Solvay, Covestro et Schlumberger.
Qui gère ce challenge des mille solutions ? La famille Piccard SA ?
Ce n’est pas une SA, mais une fondation à but non lucratif, que je dirige avec mon épouse Michèle, sans laquelle rien de tout ce que j’ai accompli n’aurait été possible. Je ne perçois aucun salaire. Je vis de mes conférences. Je demande le plus possible dans les conférences payantes pour consacrer l’autre moitié de mes activités à ma fondation de manière entièrement bénévole. J’ai la chance d’avoir des parrains comme le prince Albert, Richard Branson, James Cameron, Hubert Reeves, Yann Arthus-Bertrand, etc.
En France, Nicolas Hulot, le ministre de l’Environnement a révélé qu’il possédait six voitures, deux motos, un bateau … Où est la cohérence ?
Je n’ai pas eu connaissance de cette polémique-là. Aujourd’hui, la transition doit se faire sur le véhicule électrique, hybride ou à hydrogène. Personnellement, j’ai une Hyundai 100% électrique et j’attends le modèle hybride pour augmenter mon rayon d’action. On ne va jamais pouvoir polluer à zéro pour cent, mais il faut voir ce qui est le meilleur, et le faire. Pour ma maison qui date de 1977 et qui était une vraie passoire thermique, j’ai fait isoler le toit, changer les fenêtres et mis une pompe à chaleur à la place du mazout. Les charges ont été divisées par trois. C’est impressionnant et tellement rentable.
Raphaël Domjan veut gagner la stratosphère avec un avion électrique. Jaloux ?
Au contraire, nous allons collaborer. Je piloterai aussi le « Solar Stratos ». Pouvoir disposer d’un petit avion solaire biplace pour faire voler les chefs d’état quand je leur remettrai le portfolio des 1000 solutions, ce sera génial, même si l’on ne monte pas jusqu’à la stratosphère. L’avion électrique ? Je vous promets que dans huit ans et sept mois, il y en aura pour 50 passagers.
La Suisse est plus discret vis-à-vis de ses concitoyens, ce qui a impliqué que l’aventure a été adoptée en France pour finir par devenir un projet français
Comment pouvez-vous être aussi précis ?
Parce qu’il y a un an et cinq mois, j’ai dit que cela prendra dix ans ! EasyJet a ensuite dévoilé son projet de relier Paris à Londres en avion électrique d’ici 10 ans. Il pourrait embarquer 120 passagers avec une autonomie de 540 km. L’avion fonctionnerait avec des moteurs électriques incorporés dans les ailes. Des batteries seraient stockées sous les sièges des passagers et échangées à chaque vol. Que l’industrie reprenne l’idée de l’avion électrique, c’est le bonheur. Ceux qui critiquent ont 115 ans de retard. Au Musée des frères Wright à Dayton, on peut lire : « Espérons que ces deux jeunes gens vont trouver un travail sérieux et arrêter de perdre du temps avec des jouets inutiles ! »
Avec Solar Impulse, les médias suisses ont paru moins chauds que les français …
Effectivement. Des Suisses m’ont dit avoir suivi Solar Impulse à la TV française. Notre pays est plus discret vis-à-vis de ses concitoyens, ce qui a impliqué que l’aventure a été adoptée en France pour finir par devenir un projet français. Elle a été suivie dans le monde entier. Les médias suisses l’ont considérée comme un projet local, sans prendre conscience du changement de paradigme qu’il représentait. Ils s’en sont lassés au fil des années, alors que les autres le découvraient. Mais je ne peux pas me plaindre.
Votre rencontre la plus marquante ?
Le président Macron m’impressionne beaucoup. Il fait un parcours remarquable en cassant le clivage gauche-droite. J’ai fait sa connaissance avant son accession à l’Elysée, quand il était ministre de l’économie. Je lui avais dit que je trouvais courageux de prendre ce qu’il y a de bon autant à gauche qu’à droite, plutôt que s’opposer systématiquement au camp adverse. Pourquoi est-ce que l’on devrait choisir entre la gauche et la droite pour des sujets fondamentaux ? L’écologie et la solidarité sont positionnées plutôt à gauche, l’entrepreneuriat et la responsabilité individuelle à droite. Or, on a besoin de tout cela ! Une autre personnalité m’impressionne, le roi du Maroc. Il a décidé de produire 52% d’énergies renouvelables d’ici 2030, avec de l’éolien et du solaire. Il en a assez de devoir importer toute son énergie sous forme fossile. Je pourrais citer aussi Obama rencontré à la COP21 ou Arnold Schwarzenegger, le dernier en date des parrains de ma fondation. J’aimerais rencontrer Donald Trump pour parler de « croissance propre ». Lui démontrer comment l’industrie peut produire les technologies dont le monde a besoin pour un avenir plus efficient. C’est comme ça qu’on aura de la croissance et de l’emploi tout en protégeant l’environnement. Même s’il ne croit pas aux changements climatiques.
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